7 avr. 2009

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AVRIL
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« Mignonne, voici l’Avril, »
Prends ton parapluie,
Et, dans l’eau jusqu’au nombril,
Marche, je t’essuie.


Dis, à quel genre de sport
Veux-tu qu’on se livre,
Qui te paraisse en rapport
Avec ce temps ivre ?

Tâchons de nous amuser,
Mais pas trop, quand même,
- Nous aurions l’air de poser -
Tel est le problème.

Je te dirais bien : allons
Voir cette peinture
Qu’on expose aux deux Salons,
Ou toute autre ordure.

Mais, outre que ces Salons
Ne sont pas encore,
Hélas ! pour mes pantalons !
Dès qu’ils vont éclore.


Aller risquer son argent
Sur quelque hippodrome ?…
C’est devenir indigent :
Qu’en dis-tu la môme ?

Entrer dans les cabarets ?…
Ça n’est pas mon genre ;
Et qu’est-ce que j’y ferais ?
Sûr , pas rimer genre.

Oncque ne m’en vit passer
La porte cochère ;
Je ne vais pas commencer
Aujourd’hui, ma chère.


On pourrait se rigoler
D’une autre manière ;
Je te propose d’aller
A la Bodinière,

Entendre du Massillon
Que Mounet sullyse,
Ou notre oncle Sarcyllon,
Qu’il chante ou qu’il lise.


Ou bien encor de Faguet *
La prose choisie
Sur la Poésie, au guet !
Sur la Poésie !!

(Car on est fol à lier
De nos jours, sois sûre,
On s’adresse au chapelier
Pour une chaussure.)

Cela nous parait mener,
Du moins je suppose,
Jusqu’à l’heure du dîner ;
C’est bien quelque chose.

On dînerait et très mal,
En rongeant, probable,
D’on ne sait quel animal
Indéfinissable.

Ensuite… eh bien mais… parbleu,
Frétant un carrosse
Si qu’on irait ousque fleu-
rit la chanson rosse ?…


Pour finir de s’éjouir,
Si tu ne te cabres,
Nous tâcherions de jouir
Des danses macabres

Dont Saint-Saens fait tous les frais *
Dans les catacombes ;
Et l’on souperait après
Par petites tombes…
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RAOUL PONCHON
le Courrier Français

11 avril 1897
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