6 avr. 2009

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LE PUBLIC
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1901 : représentation de QUO VADIS, d' Henri Sienkiewicz au théatre de la Porte Saint Martin,
peplum théatral, nouveau genre, à grand succès...
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Mil neuf cent un ! O temps où Paris, dans l’angoisse
Attendait que parût - ou, si l’on veut - paroisse
Le nommé Quo Vadis !
Et sans manger ni boire, à ce qu’on rapporte,
Assiégeait chaque jour de Saint-Martin la Porte
Dès l’aurore moins dix.

Il se disait ceci : « Ces satanés théâtres ;
Voilà déjà longtemps qu’ils ne sont plus forpaître
Les directeurs vraiment nous prennent pour des bœufs.
Mais ce
« Vadis » dont on me rabat les oreilles,
Ce sera la huitième, à coup sûr, des merveilles,
Disent les reporters en leurs papiers verbeux. »


Comme il parlait ainsi, la porte de la Porte-
Saint-Martin s’entre’ouvrit ; une nourrice accorte,
Entre ses gros nénais,
Agitait un enfant nouveau-né, gras, superbe,
On comprenait à son ne sais quel accent serbe,
Qu’il était Polonais. *


A son vagissement, dans le sein des armoires,
Les manuscrits captifs, qui sont là pour mémoire,
Tremblèrent pour leur peau, prirent des airs bourrus ;
On vit se renfrogner les pâles Decourcelles,
Et les vieux Dennerys de leur voix de crécelle
Se demandaient entre eux : quel est donc cet intrus ?

Le père de l’enfant, sortant de la coulisse,
Le prit tout aussitôt des bras de sa nourrice,
Et sur lui se pencha.
Et le petit Vadis que ce regard féconde,
Grandissait à vue d’œil, de seconde en seconde,
Si bien qu’il le lâcha.


Il lui fit retirer ses polonaises frusques,
Pour en faire un Romain des époques Etrusques.
Et ce père bientôt, qui fuit place au Barnum,
Se tournant tout joyeux vers la foule ahurie,
Et comme s’(il venait de sauver la patrie :
A nous, s’écria-t-il, à nous le maximum !


Le maximum n’est à quiconque,
Barnum, tu devrais le savoir.
Tu sauras que le public oncque
Ne va voir que ce qu’il veut voir.
Il ne croit que ce qu’il veut croire.
Donne-lui d’abord, pauvre poire,
Quelque spectacle péremptoire,
Non de la foutaise,
ô Barnum !
Tu le crois simple, tu t'abuses :
Le public est ami des Muses,
Et que si d’abord tu l’amuses,
Tu parleras de maximum.


Non, si Porel qu’on soit, non, si bien qu’on parfoure,
Et que sur l’avenir du théâtre on discoure
- C’est là le sombre hic -
Nul ne saura jamais détacher de son « home »,
Sans de bonnes raisons, ce pétulant fantôme
Que l’on nomme
Public.

Le Public ! c’est la grosse affaire ;
Il marche ou bien ne marche pas,
Si tu lui fais la scène à faire,
Il viendra chez toi de ce pas.
Il est son seul maître et Lemaître.
Lorsque tu coptes la lui mettre,
Il est à plus d’un kilomètre.
Il a ses caprices aussi.
Le Public est comme une femme,
D’un jour à l’autre il change, dame !
A toi de suivre son programme.
On n’est pas parfait, Dieu merci !


Mais au fond, c’est un juge excellent de la lyre ;
Il discerne fort bien un Bornier d’un Shakespeare,
Un Molière d’un Dumaphis.
Le Public est rebelle à toute fichtre rie ;
Aujourd’hui tu le vois somnoler à " Patrie " ;
Demain ronfler aux " Medicis "…

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RAOUL PONCHON
le Journal
01 avril 1901

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