7 avr. 2009

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LE CARNET D'ARTON
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Ces sacrés millions sont où ?
Bien sûr, pas dans ma poche ?
Non, bonnes gens, c’est même tout
Ce que je leur reproche.

Cessez de les chercher, cessez ;
Est-il donc nécessaire
De savoir où sont passés ses
Deux millions ? Misère !
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De l’argent était qui n’est plus,
Ça ne fait pas un doute ;
Que tels ou tels de nos élus
L’aient pris, quoi que ça peut foute ?

Cit qu’Arton dit avoir touché
N’a rien touché, je gage,
Cet autre, il ne l’a pas coaché
Qui toucha davantage.

Monsieur le Poithevin sait bien
Qu’il n’y peut rien entendre ;
Pour dénouer ce nœud gordien
Il faudrait Alexandre.
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Quatre ont touché cette fois-ci,
Si ce n’est davantage :
Deux millions, c’est peu, aussi,
Lorsqu’on les partage.


Les autres trouvèrent leur tour,
C’est la même boutique ;
Chacun doit toucher à son tour
Selon la politique.

Certes, il est des cœurs sans prix :
C’est notre Clovis Hugues…
C’est d’autres, simplement épris
De poétiques fugues.


Il suffit à ces braves gens
Perdus dans cette clique,
Que toucher de vilains argents
Ne soit pas esthétique…

*... *
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Mais enfin, cet argent maudit,
C’est cette malheureuse
Petite épargne - comme on dit -
Qui la trouve un peu… creuse.

Tant pis, ça n’a rien d’affligeant :
Cette petite épargne
Comptait gagner beaucoup d’argent,
C’est contre quoi je hargne.

Voyez-vous pas ces épargnes
Gagner des fortes sommes ?
Ils deviendraient de grands seigneurs,
Voilà comment nous sommes.

Ils seraient maires, conseillers
Remuant des provinces ;
Députés, si vous ni veillez,
Et sénateurs et princes…


Ils iraient avec des curés,
avec que des évêques…
Et, comme tels bonzes sacrés,
Ils toucheraient des chèques…

Les chèques comme les chéquards
N’ont rien qui intéresse.
Ayez rendez-vous pour… le quart
Avec votre maîtresse ;

Il me semble que cela a
Autrement d’importance
D’aller jouir du brouhaha
Du Printemps qui s’avance.

D’aucuns même partent déjà
Pour leur chère compagne
De Mazas : C’est un peu tôt ça.
Le ciel les accompagne.


Il fait beau temps, assurément,
Mais c’est pure folie ;
La saison n’est pas, croyez-m-en,
Encor bien établie.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
04 avril 1897

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