17 juil. 2009

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AU LOUVRE
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On vient encore de voler une statuette au Louvre.
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Déjà depuis longtemps, et sans que l’on découvre
Les chapardeurs, des vols sont constatés au Louvre.
Des déesses, des dieux, en or, bronze ou lapis,
Disparaissent. Hier, c’était la môme Isis,
Avant-hier, Osiris. Et demain, que sera-ce ?
Les voleurs, c’est certain, voudront payer d’audace.
 

Or, Dujardin-Beaumetz * fit appeler les chefs,
Sous-chef et gardiens, leur parla d’un ton bref,
Et leur dit : « Hé, messieurs ! Cela ne peut durer.

Le pays tout entier commence à murmurer.
Tous les jours c’est un vol. Voilà qui me la coupe !
C’est à faire dresser mes cheveux sur ma soupe.
Comment ! Vous êtes là je ne sais pas combien
A garder nos trésors, et vous ne gardez rien.
Je ne voudrais pas vous vexer, monsieur Homolle * ,
Mais que votre surveillance est peut-être un peu molle.
Que font vos employés, je vous demande un peu ?
Ils dorment jour et nuit… Non, vraiment, j’en suis bleu !
 

On nous vole une Isis d’un mètre - c’est risible.
On le voit, c’est réel et ça n’est pas possible…
Une Isis, s’il vous plait, qui pèse vingt kilos !
Demain, on volera la Vénus de Milo !

Pourquoi pas ? Ou bien la Cène de Véronèse !
Dans tous les cas, messieurs, je la trouve mauvaise.
Laisser fuir quelque objet légué par monsieur Thiers,
Ça je m’en fiche ainsi que du quart et du tiers.
Qu’on prenne le Régent * encore, je m’en fiche
Egalement, puisqu’il est un Régent postiche…
Mais des œuvres de poids, des objets précieux,
Il n’en sortira plus du Louvre, non, messieurs !
Aussi bien, cette nuit, usant d’un stratagème,
Je veux que vous veillez. Je veillerai moi-même.
J’ai prévenu Lépine * , écoutez bien ceci,
Et j’ai mobilisé des troupes. Dieu merci !
Ces vols ont trop duré. Je veux y mettre un terme. »



*

 
Le même soir, après qu’on leur eût dit : on ferme,
Quand tous les visiteurs du Louvre et les Anglais
Eurent débarrassé les salles du palais
Et dès que la dernière porte fût fermée,

Dujardin-Beaumetz, tel un général d’armée,
Harangua tous les gens dont il put disposer,
Et, pour le bien commun, il sut les diviser :
« 
Armez les mangonneaux * - dit-il. Près des vitrines
Il me faut des tromblons avec des couleuvrines
*.
Dans cette salle, ici, dite des
Primitifs
Mettez-moi, çà et là, quelques sergeots furtifs.
Dans la salle
Rubens je veux des forts des Halles.

 

Plus loin, de vieux lascars des brigades centrales.
Allons, dépêchez-vous. Ne soyez pas distraits.
Les voleurs vont venir, vous ne serez plus prêts…

A la sculpture, les pompiers. L’artillerie
Sera pour commander la Grande galerie.
Homolle, mon ami, votre place est là-bas,
Au temple Égyptien mettons le
« Mastaba » *.
Ces voleurs - parait-il - en pincent pour l’Egypte ?
C’est à vous de veiller sur cette vieille crypte.
Quant à moi, n’ayez cure, et je bivaquerai,
Avec mes lieutenants dans le Salon carré.
Ah ! J’oubliais… je veux des sentinelles jusques
Dans les amphores et dans les vases Etrusques… »

 
*
 
Une fois chacun à son poste, Dujardin
S’installa de son mieux, armé de son gourdin,
Et fit, dame, il faut bien que le temps se fusille,
Avec Lépine d’interminables manilles.
Parfois, au moindre bruit, le jeu s’interrompait,
Et l’un d’eux disait : « Attention ! pet, pet !
 

Allez donc voir, là-bas, quatre hommes je vous prie,
Je crois qu’on a marché dans la grande galerie.. »

Vaine alerte ! hallucination, oh ! combien !
Pendant toute la nuit, il ne se passa rien.
Enfin l’aurore vint, l’aurore aux doigts de roses
Couper entre leurs mains leurs manillons moroses.
Alors tous deux, fourbus, éreintés de veiller,
Comme ils sortaient, passant par le grand escalier,
Où doit surgir la Victoire de Samothrace,
Virent avec horreur qu’il n’en restait plus trace.
 
 
RAOUL PONCHON
Le Journal
12 novembre 1906

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