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Plaidoierie en Cassation
.La cour d’assises d’Ille et Vilaine vient de condamner à huit ans de travaux forcés un jeune homme de vingt-deux ans, pour avoir fait subir les derniers outrages à une vieille femme de soixante-dix-sept ans. (Gazettes du jour.)
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« Messieurs, où donc la Justice
A-t-elle été se nicher ?
Dans cette ignoble bâtisse
Il est vain de la chercher.
Ce jugement qui condamne
Mon client, cité plus haut,
Vous seriez des extraits d'âne,
Des essences d’idiot,
Des élixirs de mazettes,
Si vous le laissiez passer,
D’autant plus qu’ici vous êtes
Réunis pour le casser.
Mon client est un jeune homme
Ordinaire, et que voici :
Simple et bon comme une pomme,
Je vous le déclare ici.
Peut-être est-il un peu bête ?
Mais, étant son avocat,
Je puis jurer sur ma tête
Qu’il brille d’un vif éclat,
Or, un jour dans la campagne,
Il promenait ses vingt ans
Sans avoir d’autre compagne
Que l’haleine du printemps.
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« Messieurs, où donc la Justice
A-t-elle été se nicher ?
Dans cette ignoble bâtisse
Il est vain de la chercher.
Ce jugement qui condamne
Mon client, cité plus haut,
Vous seriez des extraits d'âne,
Des essences d’idiot,
Des élixirs de mazettes,
Si vous le laissiez passer,
D’autant plus qu’ici vous êtes
Réunis pour le casser.
Mon client est un jeune homme
Ordinaire, et que voici :
Simple et bon comme une pomme,
Je vous le déclare ici.
Peut-être est-il un peu bête ?
Mais, étant son avocat,
Je puis jurer sur ma tête
Qu’il brille d’un vif éclat,
Or, un jour dans la campagne,
Il promenait ses vingt ans
Sans avoir d’autre compagne
Que l’haleine du printemps.
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L’air était une caresse,
Tout autour de lui des voix
Murmuraient : « Et ta maîtresse,
Qu’en fais-tu, triple Iroquois ?
N’importe quelle bergère,
En ce joli mois d’avril
Ferait bien mieux ton affaire
Que le moindre grain de mil ? »
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Dans la moindre herbe, et le chêne,
Partout, la sève montait,
Et dans la forêt prochaine
Un petit oiseau chantait.
Et lui, dégoûté de vivre,
S’en allait tout de guingois,
Stupide comme un homme ivre,
Comptant ses mains sur ses doigts,
Quand il vit une sorcière,
Construite comme un gibet,
Qui s’en allait en poussière
Et dont le pas titubait ;
Pourtant c’était une femme,
Qu’il s’apprêtait à cueillir,
Mais ce ne fut qu’une flamme,
Car il l’entendait vieillir
De plus en plus, à mesure
Que d’elle il se rapprochait.
Non, cette vieille gravure
N’était pas ce qu’il cherchait.
Elle était bigle et sordide
Et sèche comme un bâton ;
Elle avait la gueule vide
Et de la barbe au menton :
Oncque on n’en vit de pareilles…
Qu’est-ce encore qu’elle avait ?
… Ah ! du poil dans les oreilles
Comme Coquelin Cadet (1).
Messieurs, tout autre, je pense,
Que mon client aurait fui
Sans plus se mettre en dépense ;
Eh bien, il demeura, lui.
Bien mieux, ce gueux imbécile
Ne s’étonna qu’un moment,
Et dans son âme tranquille
Il fit ce raisonnement :
Cette fée attend peut-être
Le baiser d’un innocent
Qui doit faire disparaître
Ce qu’elle a de repoussant ;
Qui sait, après… l’aventure
S’il ne me resterait pas
Quelque belle créature
Amoureuse entre les bras ?
- Sachez, vous, les fortes têtes,
Que mon client est un peu
Naïf et croit aux poètes
Tout autant qu’il croit à Dieu. -
Alors, plus chaud que le diable
Ce jeune homme frais et beau
Prit cette vieille effroyable
Mûre à point pour le tombeau,
Et lui rendit cet hommage
Que l’on doit à la beauté ;
Qu’elle, après son long chômage
A tout de suite accepté.
Par cette bonne fortune
Son corps un temps fut bercé
- Ainsi lorsqu’on écoute une
Histoire du temps passé. -
Vole, vole, mon cœur vole,
Disait-elle, quel roman !
Et de temps en temps la folle
S’écriait : Maman ! maman !
Après la première pause
Il jura le nom de Dieu,
Car cette métamorphose
Qu’il espérait n’eut pas lieu.
Plus vite qu’une tempête
Cette brute délogea
Sans tambour et sans trompette
Et la vieille dit : Déjà !
Ainsi se finit ce poème
Je suis sûr que Ferrouillat
Avouerait qu’il n’y a même
Pas de quoi fouetter un chat.
Mon client est-il coupable ?
Non. C’est clair comme le jour.
Moi je le trouve admirable
Bien plutôt. Je dis que pour
Y aller de son voyage
- N’est-ce pas, mon président -
Il lui fallut du courage ?
En auriez-vous fait autant ?
Au lieu de le foutre au bagne,
Je suis prêt à déclarer
Que, pour sa belle compagne,
On devrait le décorer.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
Dans la moindre herbe, et le chêne,
Partout, la sève montait,
Et dans la forêt prochaine
Un petit oiseau chantait.
Et lui, dégoûté de vivre,
S’en allait tout de guingois,
Stupide comme un homme ivre,
Comptant ses mains sur ses doigts,
Quand il vit une sorcière,
Construite comme un gibet,
Qui s’en allait en poussière
Et dont le pas titubait ;
Pourtant c’était une femme,
Qu’il s’apprêtait à cueillir,
Mais ce ne fut qu’une flamme,
Car il l’entendait vieillir
De plus en plus, à mesure
Que d’elle il se rapprochait.
Non, cette vieille gravure
N’était pas ce qu’il cherchait.
Elle était bigle et sordide
Et sèche comme un bâton ;
Elle avait la gueule vide
Et de la barbe au menton :
Oncque on n’en vit de pareilles…
Qu’est-ce encore qu’elle avait ?
… Ah ! du poil dans les oreilles
Comme Coquelin Cadet (1).
Messieurs, tout autre, je pense,
Que mon client aurait fui
Sans plus se mettre en dépense ;
Eh bien, il demeura, lui.
Bien mieux, ce gueux imbécile
Ne s’étonna qu’un moment,
Et dans son âme tranquille
Il fit ce raisonnement :
Cette fée attend peut-être
Le baiser d’un innocent
Qui doit faire disparaître
Ce qu’elle a de repoussant ;
Qui sait, après… l’aventure
S’il ne me resterait pas
Quelque belle créature
Amoureuse entre les bras ?
- Sachez, vous, les fortes têtes,
Que mon client est un peu
Naïf et croit aux poètes
Tout autant qu’il croit à Dieu. -
Alors, plus chaud que le diable
Ce jeune homme frais et beau
Prit cette vieille effroyable
Mûre à point pour le tombeau,
Et lui rendit cet hommage
Que l’on doit à la beauté ;
Qu’elle, après son long chômage
A tout de suite accepté.
Par cette bonne fortune
Son corps un temps fut bercé
- Ainsi lorsqu’on écoute une
Histoire du temps passé. -
Vole, vole, mon cœur vole,
Disait-elle, quel roman !
Et de temps en temps la folle
S’écriait : Maman ! maman !
Après la première pause
Il jura le nom de Dieu,
Car cette métamorphose
Qu’il espérait n’eut pas lieu.
Plus vite qu’une tempête
Cette brute délogea
Sans tambour et sans trompette
Et la vieille dit : Déjà !
Ainsi se finit ce poème
Je suis sûr que Ferrouillat
Avouerait qu’il n’y a même
Pas de quoi fouetter un chat.
Mon client est-il coupable ?
Non. C’est clair comme le jour.
Moi je le trouve admirable
Bien plutôt. Je dis que pour
Y aller de son voyage
- N’est-ce pas, mon président -
Il lui fallut du courage ?
En auriez-vous fait autant ?
Au lieu de le foutre au bagne,
Je suis prêt à déclarer
Que, pour sa belle compagne,
On devrait le décorer.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
03 mars 1889
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(1) Rassure-toi, Cadet, j'en ai aussi.
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(1) Rassure-toi, Cadet, j'en ai aussi.
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1 commentaire:
du Ponchon, de l'humour, du meilleur, du rythme, de l'invention,de la poésie !
incroyable. d'un truc sordide, sortir de l'émotion...
Super
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