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FONTAINES LUMINEUSES
.Les fontaines lumineuses
Qui valent bien un regard
Certes, pour les âmes creuses
Sont le dernier cri de l’art.
Ainsi dès la première heure
Des milliers de rentiers
Ayant fait un sombre beurre
En de très obscurs métiers,
Des marchands en exercice
A moins qu’ils soient retirés,
Quelques repris de justice,
Enfin des tas affairés
De gens qui n’ont rien à faire
Viennent se planter devant,
Empoisonnent l’atmosphère
Faisant reculer le vent ;
Car ils vont dîner sur place
Pour n’en point perdre un détail,
A coup de pâle vinasse
Et de saucisson à l’ail.
Ai-je besoin de vous dire…
Mais non, vous le savez bien :
Ce spectacle les attire
Parce qu’il ne coûte rien.
De temps à autre Prudhomme
Sort sa montre et dit : Mon Dieu,
Dans deux, trois heures, en somme
Les fontaines auront lieu.
La vinasse est épuisée,
On n’a plus de saucisson
*
* ...*
Voici la lune irisée
Qui monte sur l’horizon !
Alors le jeu d’eaux commence :
Entendez-vous ces clameurs ?
Tous ces êtres en démence
Crient comme des rétameurs.
Pour eux, ces eaux roses, vertes,
Ces jets d’or et ces flots bleus
Sont des fenêtres ouvertes
Sur des pays fabuleux,
Tels sont ceux du Shah de Perse
Qui vient d’arriver chez nous,
Devant qui chacun s’exerce
A façonner ses genoux ;
Sur des plages inconnues
Où l’air est un vrai bonbon ;
Où se jouent des femmes nues
Sentant horriblement bon ;
Sur des peuples de la lune
Où le cuivre est en or, où
Les épiciers font fortune,
Le temps de dire : coucou.
Enfin, sur ces pays ivres
Depuis longtemps abolis,
Dont on parle dans les livres
Et qui, pour eux , sont remplis
De nababs et de nababes,
Et d’empereurs inouïs,
D’un tas de choses arabes
Et des Mille et une nuits.
C’est toute la poésie
Que peut emmagasiner
Cette foule cramoisie
De bourgeois après dîner.
Ces fontaines lumineuses
Qui ne sont ni bien ni mal,
Pour ces âmes marmiteuses
Représentent l’idéal !
*
* ...*
Mais on quitte la pelouse
Car le spectacle est fini ;
L’épicier et son épouse
Ont déjà rejoint leur nid.
Elle a l’air toute morose,
Lui-même semble chercher ;
- Nous oublions quelque chose,
Dit-il, avant nous coucher ;
Va-t-en voir, ma camarade,
Si notre commis François
A mis dans sa cassonade
De la sciure de bois.
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
04 août 1889
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