28 juil. 2008

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La Lune, Flammarion et Mars
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… Petit peigneur de comètes.
TRISTAN CORBIERE*



Flammarion disait à la beauté qu’il aime :
« Vous m’avez demandé la Lune, la voici.
C’est de bon cœur que je vous la donne, médème,
J’en avais plein le… dos, vous m’ôtez un souci.

« Rien qu’à l’épousseter, en une seule année
J’usai plus de vingt-trois douzaines de plumeaux.
Elle est bonne à rien, cette vieille fanée
Qu’à faire plangorer les loups et les marmots.


« Certains prétendent vous la montrer à un mètre
De distance, avec leurs lunettes, les pédants !
Ils semblent oublier vraiment qu’elle a un maître :
Bibi, depuis que je l’ai prise avec les dents.

« C’est un monde blafard, blême, immensément terne,
Vous n’y trouverez pas un microbe vivant,
Quand vous le chercheriez avec une lanterne ;
C’est pour ainsi parler de la mousse et du vent ;


« Eau de boudin s’y joue avec brouet d’andouilles,
Peau de balle y fréquente emmi balai de crin ;
De bons explorateurs en revinrent bredouilles,
N’ayant pu découvrir de quelque chose un brin.

« C’est un vaste Odéon où le vide pullule,
C’est une lampe éteinte au fond du firmament ;
Une âpre solitude où le silence ulule,
Où le néant sanglote épouvantablement.


« Voilà ce n’est partout que cadavres de rues,
Boulevards abolis où de défunts passants
Font une ombre de cour à d’invisibles grues
Feignant de persiller sur des trottoirs absents.


« Ces soi-disant volcans dont la foule est hantée,
C’est un joli lapin des temps moyenâgeux,
Une histoire à dormir sur la tête, inventée
Par quelque vieux crétin au cerveau nuageux.

« Bref, cette pauvre Lune est un astre pour rire.
Enfin, elle vous plait, c’est là l’essentiel.
Maintenant, permettez… j’oubliais de vous dire
Qu’il faudra l’accrocher de temps à autre au ciel ;


« Sans quoi, vous comprenez, ça ferait des histoires :
Les poètes crieraient ainsi que des putois,
De ne la revoir plus, et les observatoires
En auraient la pépie et seraient aux abois.


*
* ...*


« Je m’occupe aujourd’hui de planètes plus rares
Et de Mars en particulier. Jusques ici
L’on possédait sur Mars des notions barbares ;
Or, j’en ai de beaucoup meilleures, Dieu merci.

« Et d’abord, nos savants feraient mieux de se taire,
Etant totalement de savoir dépourvus.
Donc, Mars est habité, je n’en fais pas mystère.
Vous me direz : Qu’en savez-vous ? -
Je les ai vus.

« Les Martiens sont beaux. Au moral, au physique
Ils nous rendraient des points toute une après-midi ;
Ils sont plus avancés que Gounod en musique,
Le plus faible d’entre eux avalerait Sadi.

«Oui ! qu’ils sont mieux fadés que nous, pauvres espèces.
Ils ont vingt pieds de haut, le reste à l’avenant ;
Des nageoires au ventre et des ailes aux fesses :
Vous en montrerait-il autant, monsieur Renan ?


« Ils ont aussi des yeux tout autour de la tête.
L’avantage, voyez, d’un aussi fameux don !
Car tout en regardant par-là, vers la Villette,
Ils savent si le feu n’est pas au Bas-Meudon.

« Ils ont de très bon vin et sont buveurs insignes.
Les buveurs d’eau ?… Jusqu’à complète guérison
Sont justement chargés de travailler aux vignes
Et le reste du temps on les fout en prison.

« Ils ne connaissent pas nos misères humaines,
Nos guerres de malheur, nos cruels opéras,
Nos reporters, ces rats, nos discordes, nos haines ;
Ils ignorent aussi nos riches, nos choléras.

« Mais, comme ils savent l’art de prolonger la vie,
Les Martiens pourraient vivre un assez long temps.
Eh bien, c’est curieux, ils n’en ont nulle envie :
Ils se tuent à peu près vers l’âge de cent ans.


« Pour les uns, le débat est encor cher le juge :
A savoir la raison de la couleur de Mars.
Or, s’il est rouge ainsi, c’est qu’au jour du déluge
Emigrèrent chez lui la plupart des homards.

« Vous remarquez aussi ces plans géométriques
Que les purs idiots prennent pour des canaux.
Moi, qui n’ai pas pour rien sué deux rhétoriques,
Je dis plus simplement : Ce sont là des signaux

«Que ceux de Mars nous font, c’est clair, et je m’engage
A les tôt déchiffrer et répondre à mon tour,
Car j’ai déjà compris un mot de ce langage,
Et ce mot, c’est : bonjour. Ils nous disent bonjour. »

*
* ...*



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Il dit, et d’une main, en guise d’allumette,
Pour allumer sa pipe il prend Aldébaran, *
Cependant que de l’autre il peigne une comète.
Alors à sa beauté, sur un ton bleu mourant :

« Madame, il se fait tard, la nuit étend ses voiles ;
Je ne voudrais pas plus longtemps vous retenir.
Emportez votre Lune, et puis ces deux étoiles
Que je vous donne en plus et comme souvenir. »

Planète Neptune. Septembre 1892.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
11 sept. 1892

1 commentaire:

Anonyme a dit…

imagination débordante , élégance autant avec la charcuterie ou que la nature humaine. Ponchon au vocabulaire débordant d'ingéniosité, c'est du grand art.
Un mot pour ce site magnifique nous abreuvant de poésie , de mots , de culture populaire , d'un touche à tout exceptionnel touchant à des sujets d'une époque des plus légers aux plus graves mis en pages avec une acuité de l'image présentée toujours juste.
C'est merveilleux.