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COMPLAINTE DU JOUR
.Raoul Ponchon nous conte l'affaire criminelle la plus retentissante de l'époque : la malle de Gouffé
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Ecoutez, âmes sensibles,
L’histoire d’un crime affreux
Commis par deux amoureux :
J’en sais peu de plus horribles,
Sauf ceux qui - turellement -
Eurent lieu précédemment.
Le héros de cette histoire
Se dénommait Eyraud.
Je ne sais même pas trop
S’il n’en faisait pas gloire :
C’est un nom prédestiné,
Ou je serai étonné.
Sous sa grossière gangue
Il avait de l’instruction
Et de l’éducation ;
Il parlait plus d’une langue,
Ce qui permet d’en changer
Quand on est à l’étranger.
Ce puits de scélératesse
Etait épris, plus qu’un peu
- L’amour se niche où il peut -
D’une folâtre maîtresse
Qui s’appelait pour sa part
Gabrielle de Bompart.
Elle se montrait docile
A ses moindres volontés :
Ce sexe a toujours été
Terriblement imbécile.
Il la battait, l’abîmait,
C’est pour ça qu’elle l’aimait.
C’était une jouvencelle
De chaude complexion
Aimant la distraction ;
Elle avait ce qu’on appelle,
En langage de la cour,
Tête légère, cul lourd.
Ecoutez, âmes sensibles,
L’histoire d’un crime affreux
Commis par deux amoureux :
J’en sais peu de plus horribles,
Sauf ceux qui - turellement -
Eurent lieu précédemment.
Le héros de cette histoire
Se dénommait Eyraud.
Je ne sais même pas trop
S’il n’en faisait pas gloire :
C’est un nom prédestiné,
Ou je serai étonné.
Sous sa grossière gangue
Il avait de l’instruction
Et de l’éducation ;
Il parlait plus d’une langue,
Ce qui permet d’en changer
Quand on est à l’étranger.
Ce puits de scélératesse
Etait épris, plus qu’un peu
- L’amour se niche où il peut -
D’une folâtre maîtresse
Qui s’appelait pour sa part
Gabrielle de Bompart.
Elle se montrait docile
A ses moindres volontés :
Ce sexe a toujours été
Terriblement imbécile.
Il la battait, l’abîmait,
C’est pour ça qu’elle l’aimait.
C’était une jouvencelle
De chaude complexion
Aimant la distraction ;
Elle avait ce qu’on appelle,
En langage de la cour,
Tête légère, cul lourd.
Pendant un temps ils vécurent
Comme Estelle et Némorin ;
Ils menaient assez grand train
Et se flanquaient des bitures,
Allant au théâtre au bal,
Dinant même chez Duval.
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Tant et si bien que leur bourse
Se trouva bientôt à sec
Sans le plus petit kopeck ;
Ils n’avaient qu’une ressource,
C’est de chanter dans les cours.
Eyraud tint donc ce discours :
L’or chez nous n’est plus qu’un mythe ;
J’ai travaillé, c’est ton tour ;
Vois-tu, ça n’est pas l’amour
Qui fait bouillir la marmite :
Tu vas lever un miché,
Quelque vieillard débauché ;
Tu tâcheras de lui plaire
Et l’amèneras ici ;
Les abatis que voici
Se chargent de son affaire.
Si je n’ai pas de pognon
Je te flanquerai des gnons.
La voilà partie en guerre.
Elle rencontra bientôt
Un homme très comme il faut
Qu’elle avait connu naguère
N’importe où, dans un café…
Un huissier nommé Gouffé.
Elle dit à l’imbécile :
Eyraud n’est plus mon amant.
Je l’ai quitté carrément
Et je suis sans domicile :
Viens donc chez moi, sans retard,
Ce soir, à huit heure et quart.
Cet huissier sybarite
Et crétin, va de ce pas
Faire un copieux repas ;
Puis il court à l’heure dite
Procurer à son … radis
Une heure de paradis.
D’une main fébrile il sonne.
La porte est ouverte par
Cette petite Bompard
Qui se tenait lieu de bonne.
Il lui dit : Petit démon,
Est-ce donc vrai ? tout de bon ?
Aurais-tu lâché ton singe ?
Tu vas être tout à moi ;
Allons, déshabille-toi,
Je te préfère sans linge ;
Quant à moi, c’est déjà fait,
Tant tu me fais de l’effet.
Elle fit quelques manières
Comme un poisson hors de l’eau,
Enfin la belle - tableau -
Vainquit les pudeurs dernières ;
Il allait se l’appuyer…
Mais qui donc vient l’ennuyer ?
C’est notre Eyraud qui se dresse,
Le saisit comme un torchon,
En s ‘écriant : Ah ! Cochon !
Tu me voles ma maîtresse
Et veux me faire cocu,
Va, tu n’as que trop vécu.
Là-dessus, il te le sangle
Sans que l’autre ait seulement
Le temps de dire : Maman !
Finalement, il l’étrangle ;
Puis il fouille, comme il sied,
Dans les habits de l’huissier.
Il trouve trois francs cinquante.
- Ah ! Dit-il, sale étranglé,
Nom de Dieu, tu m’as volé ;
Encor si c’était de rente !
N’importe, c’est toujours ça,
Ce sera pour mon tabac.
Mais ce n’est pas l’habitude
Qu’un huissier porte sur lui
L’argent qu’il prend à autrui,
Il a ça dans mon étude ?…
Eyraud-sur-le champ y court,
Sans faire un plus long discours.
Rien là non plus, peau de balle.
Chez sa maîtresse il revient.
Laquelle lui dit : Eh bien ?
Lui, d’un ton de cannibale
Il répond à la Bompard :
Rien de rien, pas un pétard.
Vite, ramasse tes frusques,
C’est le moment, Dieu merci !
Allons-nous-en loin d’ici,
Dans quelques pays étrusques,
Où nous pourrons cet été
Nous aimer en liberté.
Lors, avec un soin ectomiser
Tous deux, calmes comme un lac,
Mirent l’huissier dans un sac
Que Gabrielle elle-même
Avait cousu de ses doigts
Si jolis et tant adroits.
Puis ce couple malhonnête
Plaça le tout de guingois
Dans une malle en bon bois
Dont ils avaient fait l’emplette
- Une vraie occasion -
Chez la perfide Albion.
Ah ! Ce ne fut pas sans peine ;
Un huissier pèse beaucoup.
Eyraud suait de partout,
La Bompard perdait haleine.
Elle disait : pauvre amour !
Vivant, il était moins lourd.
… Là, c’est fait. Ici demeure,
Dit Eyraud ; pour elle, cette nuit,
Je te laisse avec que lui.
Demain à la première heure
Tu me verras revenir ;
Bonsoir, tâche de dormir.
Quand l’aurore aux doigts de rose
Entr’ouvrit en souriant
Les portes de l’Orient,
Le lendemain de la … chose,
Il trouva sa belle au lit,
Il l’éveilla et lui dit :
« Allons, petite friponne,
Il est temps de te lever ;
Quant à moi, j’ai su trouver
Chez une aimable personne
D’Auteuil, qui reste à Poissy,
Un peu d’argent, le voici.
« Il faut partir tout de suite,
Demain il serait trop tard,
Il se pourrait qu’un mouchard
Vint à gêner notre fuite ;
N’oublions pas le colis,
Ce serait du parti pris. »
Tout en fumant un cigare,
Eyraud hèle un collignon :
« A la gare de Lyon,
Lui dit-il, et dare-dare. »
Ils furent donc à Lyon,
Fameux pour son saucisson.
Là, mon bougre et sa compagne,
Sans faire semblant de rien,
Allèrent - sachez-le bien -
Dans un fiacre, à la campagne,
Insinuer leur colis
Dans l’armoire d’un taillis.
Maintenant tout à la fête !
Malin qui nous pincera ;
On dira ce qu’on voudra,
C’est de l’ouvrage bien faîte.
Mais il faut nous cavaler ;
A Marseille il faut aller.
De cette dernière ville,
Ves êtres bons à tuer
Ne pouvant s’habituer
A la cuisine à l’hu-île,
Bientôt, d’un commun accord
Rappliquèrent vers le Nord.
Pour s’enfuir loin du cadavre,
- Encor qu’un cadavre absent
Soit presque toujours présent -
Ils s’embarquèrent au Havre
Sans souci du mal de mer
Sur un élégant steamer.
Revenons à la victime.
On ne crut pas tout d’abord
Que cet huissier était mort ;
On en voit tant, qu’on estime
Qu’un de plus ou qu’un de moins…
N’est-il pas vrai, cieux témoins !
S’il n’est pas mort où qu’il perche ?
- Disait-on - ça fait rêver :
Dire qu’on ne peut trouver
Un sale huissier que l’on cherche
Lorsqu’on en rencontre un tas,
Certes, qu’on ne cherche pas.
Et pour comble de démence,
On appris qu’Eyraud aussi
N’était pas non plus ici
- Fâcheuse coïncidence. -
L’assassin était l’un d’eux,
Sans nul doute, ou tous les deux.
Et tout le jour, la police
S’arrachait ses trois cheveux.
Jaume, autrefois si verveux
Endurait un dur supplice,
Disant : Deviens-je gaga ?
Moi qui ai pincé Fauga
Or, plus tard, un pauvre diable
Découvrit à Millery
Un cadavre tout pourri :
Il était méconnaissable.
Goron s’écria : C’est lui !
Je le reconnais, oui, oui ;
C’est Gouffé, c’est bien sa mine,
Je le sens, j’ai le flair sain ;
C’est donc Eyraud l’assassin
Et la Bompard l’assassine.
Pour qui les rapportera
Récompense il y aura.
Ils étaient sous les tropiques
Quand Goron parlait ainsi ;
Ils allaient par-là, par-ci,
Et dans les deux Amériques
On les vit au sud, au nord,
Et même à Chandernagor.
On les vit en Chine, en Perse,
A Pontoise à Mexico,
Québec et San Francisco,
Continuant leur commerce.
Un beau matin, quel guignon !
Ils n’eurent plus de pognon.
Eyraud dit à Gabrielle :
Faut aller battre ton quart
Et m’amener un richard
A qui je ferai, ma belle,
Passer le goût du café.
Comme je fis à Gouffé.
Celle-ci fit connaissance
D’un monsieur fort bien, ma foi,
Qui de cour lui fit un doigt.
- O la terrible imprudence !
Mais qui saurait l’en blâmer ?
Elle se prit à l’aimer.
Son ancien Seigneur et maître
Fut fâché d’un demi-cran,
Lui devint indifférent ;
Si bien qu’elle fit connaître
A ce second ferlampier
Les noirs forfaits du premier.
A le quitter je t’invite,
Dit cet homme jeune et beau,
D’ailleurs, je tiens à ma peau,
En France partons bien vite,
Tu diras ce que tu sais,
Je te promets un succès.
C’est pourquoi, quand la police
Désespérait d’y voir clair,
Arriva comme un éclair
L’intéressante complice
Qui raconta, sans compter,
Ce que je viens de conter.
Est-elle oui ou non coupable ?
La pôvre ! D’avoir trempé
Dans le meurtre de Gouffé
Elle se dit incapable.
Nous aussi, mais l’on sait bien
Qu’il ne faut juger de rien.
Mais le héros de ce drame,
Où est-il, pour le moment ?
Je vous dirai franchement
Que je l’ignore, madame ;
Je pense qu’il court encor
Si le bougre n’est pas mort,
Et qu’il reviendra z’à Pâques,
Sinon à la Trinité :
Il se peut, en vérité,
Que les lauriers de saint Jacques
L’étrangleur, vierge et martyr,
Ne l’empêchent de dormir.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
02 fév. 1890
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Edmont Locard , l'un des plus grands spécialistes français de la médecine légale écrivit à propos de cette affaire : Un crime atroce qui eut le plus fort retentissement. Une névrosée sans conscience et sans remords. L’enquête la plus difficile, barrée par les mensonges des faux témoins, par les erreurs de la police parisienne, par un autopsie mal faite… mais remise sur la bonne voie par la plus brillante expertise d’un médecin légiste.
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1 commentaire:
en un mot : magnifique ! l'humour poulaire de Ponchon au maximum. Un plaisir à lire . Vraiment bien votre blog
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