31 mai 2008

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MALHEUR AUX PAUVRES
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« L’administration de l’Assistance publique se réserve
le droit de faire la quête dans les églises. »
(Gazette du jour)



Ne pleurez plus pauvres povres,
En attendant ces argents
Qui vous viennent des Hanovre
Ne pleurez plus, indigents ;

Consolez-vous, pauvres mères,
Enfants perdus et trouvés ;
Séchez vos larmes amères
Décavés et réprouvés

De la nôtre République ;
Car l’Administration
De l’Assistance publique
Cette alme institution

Songe, si je ne m’abuse,
A vos vivres et couvert,
A vos vins de Syracuse,
A vos paillasses d’hiver.

Où prend-elle ses ressources
Pour tout le bien qu’elle fait ?
Les poches étant si ourses
Et si closes en effet ?
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C’est affaire de génie
Et de perspicacité,
Et sa verve est infinie
Quand il s’agit de charité.


Elle étend comme un polype
Ses bras de tous côtés ;
Et, partant de ce principe
Difficile à contester,

Que l’aumône, en République,
Doit être premièrement
Obligatoire et laïque,
Sans plus autre mandement,

Elle vient, qu’on se le dise !
De se réserver le droit
De quêter dans les églises.
Les curés en ont un froid.

*
* ...*



Tu ne vois pas, pauvre hère,
Ce qu’à ce commerce-là
Peut bien gagner la misère ?
Eh bien, mon ami, voilà :

Cette excellente assistance
Pourra, pour plus de michets
Bâtir plus de dépendances,
Comme ouvrir plus de guichets.

Tu feras moins antichambre,
Et pour peu qu’à ces messieurs
Tu apportes, en décembre,
Quelques papiers précieux

Et documents d’importance :
Une carte d’électeur,
Par exemple… une quittance
De loyer - c’est très flatteur -


Un livret, mon Dieu, de caisse
D’Epargne… un port d’armes… un…
Enfin, je ne sais quoi, qu’est-ce
D’absolument opportun ;

Si ton casier judiciaire
Est comme l’œil aussi frais…
Si dans une financière
Maison t’as des intérêts…


Si quelque carnet de chèques
Fait voir que tu es renté…
Si tu arrives avecques
Deux forts témoins patentés…


Que si tu montres ensuite
Quelques vieux certificats
De bonnes mœurs et conduite…
Eh bien, l’ami, dans ce cas,


Ces messieurs prendront sans doute
En considération,
Encore que ça leur coûte,
Ta triste position ;

Et te diront : « Pauvre diable,
Nous sommes plus endettés
Que ton sort n’est misérable ;
Repasse donc cet été. »



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
06 nov. 1898


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