1 juin 2008

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PRINTEMPS, DERNIER BATEAU
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Je suis allé pour quelque temps
Chercher la verdure
Et mâcher un peu de printemps
A même la nature,

Avec ma pipe et mon tabac
Et ma stadivarlyre,
Chez Cyrano de Bergerac
Puisqu’il faut tout vous dire.

Ah ! dieux ! le patelin charmant,
Sympathique et folâtre !
Que j’y passe de bons moments
Le soir, auprès de l’âtre !

Pelotonné dans un fauteuil
Le pied dans les pantoufles,
Tandis qu’au dehors, sur mon seuil,
Vent du nord, tu t’essouffles !

Ce qu’il fait froid c’est insensé :
Je tousse à rendre l’âme,
D’un rhume - je crois - ramassé
Dans ce Paris profane.

Car ça n’est plus le printemps bleu
Ou ça ne l’est plus guère.
Printemps vert et bleu, nom de Dieu !
Tu sais, d’avant la guerre ?

C’est un bon printemps hivernal,
Un joli mai frimaire,
Ça n’est pas le printemps banal
Dont parlait ma grand’mère.


Plus de champs, là-bas, guillerets,
Plus de fleurs odieuses ;
Devant moi ce sont des forêts
De pins noirs et d’yeuses.

Partout où mon regard peut voir,
Sur les jardins moroses
Planent la mort, le désespoir,
Et tu parles de roses !

Il tombe et retombe de l’eau
A ne savoir qu’en faire :
Parbleu ! si j’avais mon bateau…
Mais il est à Asnières.

Les potagers sont des rébus,
Pas la moindre légume ;
Je me demande comment jus-
qu’à ce jour nous vécûmes.

Quoi ! Pas même de petits pois :
« Elle est forte , » hurlais-je
A ce vieux jardinier narquois,
Mais alors, c’est la neige !

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Pour me consoler il me dit
(Et, il doit s’y connaître)
Que lorsque je serai parti
Ils se mettront à naître.

« Ainsi c’est le froid et la faim
Que le ciel vous réserve ?
Me dites-vous. - Non, car enfin
Nous avons des conserves. »


Et, que fais-je de tout le jour.
Eh bien, ma foi, j’engraisse,
Et je sanglote tour à tour
Sur l’Espagne ou la Grèce…


Comme un hanneton enfermé
Je tape sur les vitres
Ou bien encor (ô mois de Mai !)
Plus abruti qu’une huître


Je relis avec passion
La gazette locale,
Remâchant les élections
La matière fécale…

Des fois je compte sur mes doigts
Le nombre qui me reste
De cheveux. J’en ai trente trois,
Mais ils ont un beau geste.



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
15 mai 1898


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