13 sept. 2007

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UNE ŒUVRE DE JEUNESSE
DE RAOUL PONCHON
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On sait combien il sera difficile de recueillir les poésies complètes de Raoul Ponchon, éparses dans de nombreuses publications. Signalons, pour ceux qui voudront assumer la tâche de réunir ces poèmes, une œuvre de jeunesse encore inédite.
Aussitôt après la guerre de 1870-1871, un groupe de très jeunes hommes de lettres se réunissait dans un café, à l’angle de la rue Racine et du boulevard Saint-Michel, aujourd’hui remplacé par une boulangerie ; le propriétaire possédait un album (on ne disait pas encore « un livre d’or ») sur lequel il demandait à ses clients d’inscrire quelques vers de leur cru. Cet album qu’un de nos amis a eu jadis sous les yeux, se trouve aujourd’hui dans la collection d’un bibliophile.
Il débute par une pièce, plus que libre, signée de Paul Bourget, alors âgé de 22 ans ; on y trouve une dizaine de pièces de Verlaine (28 ans) avec des dessins de l’auteur, quatre poèmes de Rimbaud (18 ans), des vers de Léon Valade, d’André Gill (avec dessins) la plupart d’un caractère franchement érotique, et une pièce signée R. P., dans laquelle il est impossible de ne pas reconnaître une œuvre de jeunesse de Raoul Ponchon, alors âgé de 24 ans, dont nous donnons ici la primeur à nos lecteurs :



Vlà l’hiver et ses guenilles :
Un’saison qui est emmerdant !
J’ai sur mon blair mille aiguilles,
Qué chouett’ temps pour les ours blancs !

Les femmes s’mettent des ch’nilles,
Vlà qu’on frusquine les cabots ;
Mince ! que j’ai froid dans les quilles
C’est rien de l’dire et dans l’dos !
Je suis frileux c’est ma nature
J’ai la peau fine comme un roi
Je vous foutrais des engelures
Rien qu’en vous touchant du doigt.
Je viens d’effacer un’chopine
Pour vous faire couler un d’mi s’tier
Ca m’réchauffe ben la poitrine
Mais c’est mes saligots de pieds
Avec ça j’ai pas d’chaussettes
J’en ai jamais eu qu’eun’ paire
Que je garde pour les jours de fêtes
Et mes rigadins prennent l’air !
Les boulevards manquent d’chaufferettes
Faudra p’t’êt que j’y porte ma plainte
A Wallace
; quant à ses buvettes
J’y fais quéque fois mon absinthe

Du verglas ! Bon, vlà que j’m’plaque
Comme si j’marchais sur des bossus
Les omnibus et puis les fiac’s
Font esprès de m’passer d’ssus.

Jamais j’arriverai. J’viens d’Montrouge,
Faut que j’aille boulevard Mazas ;
Nom de Dieu, quand j’ai l’nez rouge
Je peux pas m’chauffer aux becs de gaz !

Pourquoi qu’on n’donnerait pas au peu’
D’ quoi qui passerait son hiver ?
Quand j’vas m’fout dans l’portefeuille
Ce sera dur jusqu’à tant que je pionce.

Si encor j’rencontrais une fille,
Dans mon pieu, qui m’appelle Alphonse !
Je m’rappelle qu’hier, comme un âne,
J’ai cassé mon dernier carreau
Et qui fait pu froid, Dieu m’damne,
Depuis que j’y ai collé l’Figaro !


(poème de 1871 ou 1872)



attribué à Ponchon par le Dr Valbert
dans GRANGOUSIER, revue de gastronomie médicale ,
N° 2 Mars 1938


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1 commentaire:

Anonyme a dit…

En fait le début d'une version de ce poème a paru dans le "Courrier français" en 1888, selon François Caradec, "Dictionnaire du français argotique et populaire", (signée Ponchon) :

V'là la neige

V’là la neige qui décanille,
Nom de Dieu, quel temps d’cocus !
C’est à peine si j’sens mes quilles,
Mes esgourdes j’les ai plus.

C’qui fait chaud, non, c’est un’ paille
J’vas prend’ feu, pour sûr de sûr ;
Voyons... s’i’ m’reste un’ médaille
J’m’offrirai quéqu’ chos’ de dur.

J’sors pourtant d’boire un’ chopine
Pour fair’ couler un d’mi-s’tier,
Ça m’réchauff’ ben la poitrine,
Mais c’est mes saligauds d’ pieds !...

J’suis frileux, c’est ma nature ;
J’ai la peau fin’ comme un roi.
Et j’vous empoign’ des eng’lures
Rien qu’en rêvant qu’il fait froid.

Et pis j’n’ai qu’des chaussett’ russes
Et mes rigadins prenn’t l’air.
Ah, ben, vrai, c’que j’plains mes puces,
Ell’ pass’ront un sale hiver.

[...]

Bonne soirée puis nuit !