13 sept. 2007

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LE SATYRE
C’était un doux et grec satyre*
De la plus haute antiquité.
Il avait son pays quitté
Quand la fable eut fini d’en rire.

Comment – me demanderez-vous –
Etait-il seul de son espèce,
Alors que dans la nuit épaisse
Ses pareils gisaient tous tretous ?

Je n’en sais rien. Et puis qu’importe !
Il était seul en ces jourd’hui
Parce que toute – excepté lui –
La gente satyrique était morte.

Pendant des siècles il erra
Sous diverses latitudes,
Au sein des forêts les plus rudes ;
Et tour à tour il opéra

Sur la peau-rouge et la négresse
Encore que notre animal
S’en accommodât assez mal,
Lui, l’enfant de la blanche Grèce !

Pendant des siècles il vécut
Oublié par le Temps rapide,
Bestialisant et turpitude,
Et faisant nombre de cocus.

On perd sa trace au Moyen Age,
On le retrouve un peu plus tard,
Je ne sais où, mais quelque part,
Enclin au même badinage.

Enfin chez nous il dévalait
Ces jours-ci, sans plus de vergogne,
Et gagnait le bois de Boulogne
Où tout de suite il s’installait.

Et là dans un sombre repaire
Nuit et jour il attirait
Des nymphes, à ce qu’il paraît,
Pour leur montrer son…savoir-faire.

Ah ! qu’il passa de bons moments
Dans son théâtre de verdure,
Ce bon fiston de la nature,
Sous nos cieux légers et cléments !

Des princesses et des vachères
Se disputèrent ses faveurs.
Amours velus ! Fauves saveurs ;
Oh ! Oh ! un satyre, ma chère !

Un beau jour, c’était à prévoir,
Il vit accourir affamée
La veuve de la Grande Armée,
Mais il n’en voulut rien savoir.

Aussitôt elle porta plainte
Comme quoi ce satyre avait osé
L’avait voulu…satyriser…
« Un bouc ! Ah ! Seigneur ! Vierge Sainte ! »

Il dut donc, comme vous pensez,
Passer devant la cour d’assises.
La plainte était des plus précises.
Rien ne pouvait l’en dispenser.

« Expliquez-vous – lui dit le juge.
Qu’avez-vous à dire ?... – Moi, rien,
- Répondit le macrobien -
Sinon que depuis le Déluge,

C’est vraiment la première fois,
J’en jure ma face camuse,
Qu’on m’arrête quand je m’amuse
Et batifole dans les bois.

« Mais le plus curieux encore,
C’est de me voir persécuté
Pour n’avoir pas cullebuté
Cette insupportable pécore. »



RAOUL PONCHON




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