Le Cake-Walk
Hé ! Mesdames, en vérité
De la haute société
Confites en austérité
Je vous trouve un peu bien sévères
Pour cette danse de nos pères
Les singes des âges prospères.
Car, pour moi, je ne doute pas
Que ce soient là les premiers pas
Qu’esquissent ces grands papas.
Quand au sein de leur forêts vierges
Ils étaient leurs propres concierges
Avec leur peau pour toutes verges.
De s’agiter et de se tordre
Pour essayer de se le mordre.
Mais quel ordre dans ce désordre,
Cette danse, c’est bien certain,
Est selon un rite lointain
Et n’a rien de si libertin
Ni de si tellement ignoble,
Que ces dames du faubourg noble
Le hurlent jusques à Grenoble.
Mais, dame… il y faut, tirlifaut
Une souplesse sans défaut,
C’est peut-être ce qui vous faut.
Ce cake-walk veut de la grâce :
Voilà ce qui vous embarrasse
Il n’en est plus dans votre race.
Parbleu, je suis bien convaincu
Que le cake-walk est vaincu
Dès qu’il est dansé par un cu.
Bien compris, il a plus d’allure
Cent mille fois que vos figures
De Cotillon. Et, je le jure,
Quitte à me faire remarquer
J’aime mieux votre cake-walker
Que bostonner ou que polker.
J'aime le cake-walk encore
Mieux que ces danses de pécore
Dans le temple de Terpsichore ;
Quand s’agitent sous des tutus
Entrechats et jetés battus
Que j’ai si souvent combattus.
Ça, c’est odieux, c’est atroce
La voilà bien la danse rosse
Autant que cheval de carrosse,
Le cake-walk est à coup sûr, cent
Fois plus gai, plus divertissant,
Mons absurde et moins indécent.
Vous craignez pour vos jeunes filles
Ce jeu de remuement de quilles,
Ô nobles mères de famille !
Mais il est bien moins dangereux
Que lorsque nos deux amoureux
Bostonnent ou valsent entr’eux…
N’insistons pas. Pour bien vous dire
Ce cake-walk et son délire
Il faudrait une triple lyre.
Son seul tort, il est bien léger,
C’est, dit-on, de faire enrager
L’illustre seigneur Bérenger.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
01 fév. 1903
VIDÉO
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