18 oct. 2010

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Gazette sans titre
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Crains la tranquillité du méchant plus que la colère de l'homme de bien
Pantchatantra



Loin des méchants, des rognegneux
Des sproncknicks et des conibards,
Promenons nos esprits hargneux
Au sein des bars.


Là, juchés sur de hautes chaises,
Buvons des liqueurs exécrables,
En traitant de vieilles fichaises
Et Dieux et Diables.

Buvons, et nous évertuons
A crapuler, si c'est la loi.
Moquons-nous de tout et tuons
La bonne foi.

Conspuons toute vie active,
Tout beau, tout bien, ces balançoires.
Soyons las, en définitive,
D'être des poires.

Soyons des mufles, au galop,
Comme telle autre humanité.
Vivre un peu proprement, c'est trop
De vanité.

En ces temps vils qui sont les nôtres,
Vas-tu poser pour le brave homme ?
Vas donc ! vis donc comme les autres,
Ou l'on t'assomme.

Laisse là tout ce vieux décor,
La terre verte et le ciel bleu.
Et si ton coeur te gène encor,
Débarque-le .

Plus de scrupules ! pourquoi faire ?
Soyons comme ces fiers Apaches .
A moins pourtant que l'on préfère
Etre ses vaches.


Chauffons, chauffons, soyons oseurs ;
Ne restons pas ankylosés :
Il vaut mieux être un écraseur
Qu'un écrasé.


Ou bien alors restons des pleutres
Faisons-nous botter le derrière
Et laissons sur nos sexes neutres
Grimper le lierre.

Sait-on seulement ce qu'il veut
Aujourd'hui notre doux pays ?
A quels sentiments, à quel voeu
Il obéit ?

Doit-on crier : vive Loubette
ou : vive le roi d'Angleterre ?
Que chante-t-il sur sa trompette ?
C'est un mystère.

Est-il Anglais ? est-il Français ?
Cambodgien, Petit Russien ?
Rime-t-il encore à succès ?
On n'en sait rien.

Comprend-on, d'ailleurs, quelque chose
A quoi que ce soit, à cette heure ?
Nous vivons dans quelque temps morose
A la malheure !

Laissons donc là les rognegneux
Des sproncknicks et des conibards,
Et menons nos esprits rogneux
boire en des bars.

Là, juchés sur de hautes chaises,
Buvons des cocktails détestables,
En traitant de vieilles fichaises
Et Dieux et Diables.


Soyons des mufles, des salauds,
Comme telle autre humanité.
Vivre un peu proprement, c'est trop
De vanité.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
03 mai 1903


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