24 oct. 2010

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LA RECHERCHE DE L'ASSASSIN
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Une très vieille demoiselle
Échappée à mille combats
Gardait une somme éternelle
Dedans le tiroir d’un vieux bas.

Elle la laissait improduire
De crainte d’y risquer un sou ;
Jamais elle n’en fit rien luire,
Gueusant son pain, jusqu’au jour où,

Ayant eu vent de cette somme,
Une infâme crapule qui
Raisonnait son égard comme
Le héros de Dostoïevski,

Prit son beau couteau des dimanches,
Vint chez la vieille et la tua ;
De plus, en treize égales tranches,
Par acquit, la distribua.


Treize est le nombre fatidique
Qui devait lui porter malheur.
Quand il eut le magot, cynique,
Il s’enfuit, criant : « Au voleur ! »

La vieille étant riche, il fut riche
Et fit la noce à tout casser.
- Voleur prodigue à vieille chiche -
Il jetait l’or. Pour commencer

Et charmer son cœur en détresse,
Il courut dans un claquedent,
S’y fit présenter la négresse,
Laquelle, c’est bien évident,

Sans lui demander son histoire,
Ni d’où venaient ces loisirs,
Lui fit passer des heures noires
En répondant à ses désirs.

Plus tard, on le mit à la porte
Quand tous ses argents furent morts…
Or, ici, l’histoire rapporte
Qu’il fut bourrelé de remords.

Il alla trouver les gendarmes
Dans le poste le plus voisin,
Et leur dit, les yeux pleins de larmes :
« Gendarmes, c’est moi l’assassin ! »


Les gendarmes de lui répondre :
« Nous prends-tu donc pour des pompiers ?
Nous t ‘enverrons blanchir à Londres,
Si tu ne te tires pas des pieds. »

Il alla chez le commissaire
Se constituer prisonnier ;
Lui conta sa grande misère
Du premier mot jusqu’au dernier.

Celui-ci, que point l’on attrape,
Le congédia tout à trac,
Non sans l’avoir fait par ses frappes
Passer rudement à tabac.

N’obtenant rien de la police,
Voilà qu’écrivit mon bandit
Au ministre de la justice.
Le ministre lui répondit :

« Votre demande est misérable,
Elle ne repose sur rien.
Si vous étiez le vrai coupable,
Je le saurais, vous pensez bien. »

En attendant, le pauvre hère
Crevait sinistrement de faim,
Si bien qu’un jour de grande colère
Il prit au vol un petit pain.


Vous jugez dans la minute,
On lui borna son horizon,
Et si tôt il fit la culbute
Dans le boudoir d’une prison.


RAOUL PONCHON

Le Journal
22 août 1900



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