23 juil. 2009

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LE CONTRAT
(CONTE)


Un paysan, - disons normand
Sans nous engager autrement , -
Voyant de jour en jour sa femme
Dépérir, près de rendre l’âme,
Alla chercher le médecin.
Celui-ci, bien que son voisin,
Comme c’était la fois première
Qu’il pénétrait dans la chaumière,
Voilà, qu’à l’instar d’un recors,
Devant que d’exercer son sport,
Il jette un regard circulaire
Sur le mobilier, comme s’il
Osait ex nihilo nihil…
Et qu’il craignit pour son salaire.
 


Le paysan s’en aperçut :
-
Dam’, dit-il, ça n’est pas cossu…
Je vois bien ce qui vous tourmente.
Mais si je n’ai pas de la rente,
Je n’en suis à trois écus près.
Marchez toujours. J’en fais les frais.
Tenez, aussi vrai que je m’aime,
Vous les aurez vos trois écus ;
Pas un de moins, pas un de plus,
Je le jure sur mon baptême
Et ça que vous me la tuiez,
Ma femme, ou me la guérissiez,
Il faut que tout le monde vive.
A chacun son métier, pas vrai ?…
 
*


Voilà mon docteur rassuré,
Qui, dans l’instant même, s’active
Auprès de la pauvre chétive…
Deux fois par jour il vint la voir.
Enfin, il fit tout son devoir.
Il la soigna de telle sorte
Que bientôt ce fut une morte.
 
*


Tous les deux menèrent le deuil,
La crêpe au bras, la larme à l’œil.
Puis, un peu plus tard, quand la dame
Eut rendu suffisamment l’âme,
Estimant que son cher voisin,
Après le temps protocolaire,
N’y pensait plus, le médecin
Alla réclamer son salaire.
L’autre ne voulut rien savoir.
- Vrai, je serais au désespoir
Si je vous donnais une obole.
- Cependant, j’ai votre parole,
Fit le médecin irrité
D’une telle duplicité.
Ne m’avez-vous pas dit, bonhomme :
« Docteur, soit que vous me tuiez
Ma femme, ou me la guérissiez,
Je vous compterai la même somme ? »
 

- Si fait. Mais une question :
Est-ce que vous l’avez tuée ?
- Moi ! quelle supposition ;
J’aurais l’âme assez damnée !…
Je ne sais ce qui me retient…
- Bon, bon !… Finissons l’entretien.
Est-ce que vous l’avez guérie ?
- Non plus. Mais quelle raillerie !…
- Alors
, dit le fin paysan,
Que réclamez-vous, à présent ?
Si vous ne l’avez ni guérie
Ni tuée, et j’en suis certain,
Je ne vous dois pas un rotin.

 
 
RAOUL PONCHON
Le Journal
04 mai 1908
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1 commentaire:

D'Ormes... a dit…

merveilleux blog, plaisir de lire , une histoire chaque jour sur des thèmes des plus divers. vraiment magnifique ces talents de conteur, de style, d'improvisation,... si nos journaux pouvaient produire une telle sorte , ce serait bon pour la presse...merveilleux blog