25 juil. 2009

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INAUGURATION
de l'Eglise du Sacré-Coeur

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Quel est donc ce chambard que l'on fait sur la Butte ?
Quoi diable c'est-il bien ?
Me dis-je, c'est-il bien, en passant ma culbute !
Eh ben, vrai ! nom d'un chien !

Pourquoi tout ce potin, ce bouzin, cette ivresse,
Ces cloche ? Chi lo sa ?
Sont-ce des chants de fête, ou des cris de détresse,
Faut que j'aille voir ça.

Serait-ce de nouveau la guerre, ou la Commune ?
Ou, muni d'un canon,
Boulanger revenant tracasser la fortune ?
On veut croire que non.

La Butte est-elle donc encore en butte aux luttes ?
Ah ! mon Dieu ! mes enfants !
Elle était bien plutôt en proie à que des flûtes,
A combien d'oliphants,

A des drapeaux sans nombre, à d'atroces cantiques,
A des accordéons,
A des sociètés de vagues gymnastiques,
A de nuls orphéons,

Quand j'arrivai. C'était la grrrande Basilique
Que l'on inaugurait.
Pourquoi faire ? - allez-vous me dire - en République ?
Ah ! ça ? c'est un secret.

Et, que de ratichons, que de séminaristes !
Mon Dieu, que de prélats
Je vis là ! de chartreux et de frères maristes,
De minimes, d'oblats !

De pélerins chargés de gourdes, de coquilles,
Une boulette au poing,
Hirsutes, et tenant à peine sur leurs quilles,
Tant ils venaient de loin.

Il en était venu des quatre coins du monde,
Et de Madagascar ;
Il en était venu par la terre et par l'onde,
De ces heureux lascars.

Pourant ce n'était pas que de la cléricaille
Que vous rencontriez,
Mais aussi de ces gens qu'on nomme la canaille,
D'honnêtes ouvriers.

Là, c'étaient des soldats avec leurs connaissances ;
Ici, les huguenots...
Un être évidemment brillait par son absence,
C'était monsieur Carnot...

Ajoutez à cela de la magistrature,
Des Anglais, des pompiers ;
Et brochant sur le tout une odeur de friture
Et de sueur de pieds.


*
* ...*


Bientôt du Sacré-Coeur on déboucla la lourde.
De vous dire combien
Entrèrent là-dedans, la tâche serait lourde,
D'ailleurs, je n'en sais rien ;

Car lorsque tout fut plein du sol jusques aux cintres
Il en entrait encor.
Spectacle merveilleux ! cimaises pour les peintres !
Admirable décor !

Je fus assez heureux pour trouver une place
Sur le cor d'un monsieur,
Songez qu'un sur cinq cents de cette populace
Entrait dans le saint lieu.

Quand je fus installé, l'on alluma les lustres,
Etendit des tapis
Dont le moindre engloutit plus de sommes illustres
Qu'il n'est un champ d'épis.

L'orgue bientôt mugit. Précédé par des suisses
En habit de gala
Et faisant des effets de mollets et de cuisses,
Voilà que dévala

Un cortège nombreux d'évêques, lourds de crosses,
De chasubles en or,
Et de mitres en or. Ils rutilaient, les rosses,
Comme le Kohinnor.

Car, comme a dit quelqu'un dont j'aime l'hyperbole
Et la sincérité
( Messieurs, ne cherchez pas, ce quelqu'un, c'est Chincholle )
On avait décidé

Que tout serait conçu de façon la plus simple,
Pas de frais superflus,
Pour n'effaroucher point le susceptible peuple ;
De l'or, et rien de plus.


*
*... *


La neuvième heure sonne, et la fête commence
Par un orgue lointain...
Ténor Escalais attaque une romance
*
de cuisine en latin.

Ensuite un vieuloniste induré nous accable
Avec son violon ;
Il joue un concerto cordé, long comme un câble,
Un râble très très long.

Et plus tard, comme qui dirait vers l'offertoire,
Félicia Mallet
Nous chanta les plus beaux airs de son répertoire ;
Dame, ça, ça m'allait !

Le tout, bien entendu, était mêlé d'antiennes,
De spiritutuos,
De vobiscums... enfin... de palabres chrétiennes
Et de sacrés duos.

Et ce n'était qu'encens, qu'amour, délice et orgue,
Tadis que, s'ivrognant,
Un prêtre buvait, seul, à l'autel, plein de morgue :
Faut-il être feignant !

Et cela nous foutait une soif indicible ;
Pour ce qui est de moi
J'eusse volontiers bu, plus avide qu'un crible,
Mon Dieu, n'importe quoi.

*
*... *


Et puis, quand on croyait tout terminé, voilà que
Le Père Tonsabré,
De qui le français flotte entre l'ancien valaque
et le kurde altéré,

Nous fit un long sermon sur la foi fin de siècle,
Qui nous épata tous,
Patatous, patatous... et puis sur... sainte Thècle
Et saint Ananigous...

Après quoi, le clergé, la multitude vile,
Tout le monde sortit
Sur la terrasse d'où l'on domine la Ville,
D'où l'homme est si petit ;

Monseigneur Rotelli, le nonce apostolique,
Ayant pour mission
De donner à Paris laïque et symbolique
La bénédiction.

On avait un instant compté sur le Saint-Père
Pour ce rôle tenir,
Mais comme vous pensez, un pape a mieux à faire
Qu'à venir vous bénir.

A son défaut, c'est donc toujours ce même nonce
Qui prit un ostensoir
- Lequel entre ses mains semblait peser une once -
Et bénit... le Chat Noir !


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
21 juin 1891

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