13 juil. 2009

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Un Prix de Rome peut-il se marier ?
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Est-ce donc vrai, messieurs, architectes imberbes,
Peintres à l’état d’embryon,
Sculpteurs non dégrossis, musiciens en herbe,
Graveurs de futurition,
 
Vous voulez prendre femme et vivre en phalanstère ?
C’est être un peu pressé.
Et quoi ? De l’art charmant d’être célibataire
Vous ignorez donc l’A B C ?
 
Enfin ! C’est votre affaire et ce n’est pas la mienne.
O jeunes prix de Rome ! vous
Voulez vous marier ? Mariez-vous, pardienne !
Et devenez de bons époux.
 
Et faites des enfants. Monsieur Piot triomphe
D’ores et déjà, plein d’espoir.
Mais votre directeur - à moi ma rime en « omphe »
Carolus ne veut rien savoir.

 

- L’art avant tout - dit-il - jeunes gens. A votre âge,
Je n’avais que l’Art dans la peau.
Et je n’allais pas plus songeant au mariage
Qu’à me noyer dedans le Pô.
 
« Si vous ne pouvez pas - je le comprends, en somme -
Rester quatre ans, tas de farceurs,
Sans rigoler un peu, vous savez bien qu’à Rome,
Il ne manque pas d’âmes sœurs…

 
« Non, vraiment, vous n’y pensez pas, dans vos programmes.
N’êtes-vous pas vingt-cinq ici ?
Par conséquent, cela vous ferait vingt -cinq femmes,
Sans compter la mienne, merci !…
 
« Songez aux rapports de ces dames entre elles ?
Vous trouveriez ça rigolo ?
Oh ! du matin au soir, ces drames, ces querelles !
Non, mais voyez-vous ce tableau ?

 

« Voyez-vous culbuter d’insupportables gosses
Emmi la Villa Médicis,
Interrompant l’effort de vos talents précoces ?
Et toutes les mamans ?… vingt-six !
 
« Et pendant ce temps-là, que devient l’Art austère ?
Le grand Art, l’Art par un grand A,
Dont vous n’avez encor pénétré le mystère ?
On n’est pas à ce point bêta. »

 
*
* ...*
 
Eh ! mon Dieu ! Carolus, digne fils du Corrège,
Je vois tout cela… sans le voir.
Vous avez mille fois raison. Que vous dirai-je ?…
Evidemment c’est à prévoir.
 
Mais alors, ces messieurs, pleins d’une ardeur impure,
S’ils ne peuvent se marier,
Iront batifoler au quartier de Suburre,
Il y a gros à parier.

 

Vous n’y songeâtes point. Et qui sait, je vous prie,
De ces endroits mystérieux
S’ils ne reviendront pas avec quelque avarie,
Au grand désespoir de Brieux ?…
 
Au fond, ils ont raison. Je m’en convaincs moi-même,
Qu’ils se marient. Nous verrons bien.
En tout cas, Carolus, sois sûr que l’Art suprême,
Par un grand A, n’y perdra rien.

 
Si, chaque année, au lieu de leurs croûtes infâmes,
De leurs navets ébouriffants,
Dont nous n’avons souci, d’accord avec leurs femmes,
Ils nous envoient de beaux enfants.
 
 
RAOUL PONCHON
le Journal
13 mars 1905

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Une évocation de Rome
et de la villa Médicis au XIXème siècle :

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