12 juil. 2009

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ROYALE OBSESSION
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Après s’être pendant trois quarts d’heure gourmé
Aux soins de son royaume,
Le roi Charles-Albert-Edouard le Bien-Aimé,
Oncle du roi Guillaume,
 
Tracassa les journaux qu’il avait devant lui
De sa main grasse et pleine,
En prit un au hasard, et lut : « C’est aujourd’hui
Que le roi des Héllènes

 
Quitte pour quelques jours sa ville de Paris… »
- Quoi, dit-il, ce grand diable
Etait encor fourré dans son sacré Paris !
C’est inimaginable.
 
Alors le roi Luitpold n’en doit pas être loin.
Car ces deux rois, me semble,
Chaque mois, tour à tour, y vont faire leur foin,
Quand ce n’est pas ensemble.
 
On pourrait demander à ces deux potentats
A quelle époque ils règnent .
Mais le plus curieux c’est que l’on ne voit pas
Que leurs peuples s’en plaignent.
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Il est vrai qu’ils n’ont pas, ne pouvant tout avoir,
Le soin d’un vaste empire.
Qu’est-ce que sur le Belge exercer le pouvoir,
Dominer sur l’Épire ?
 
C’est un amusement et ce sont des veinards.
Au fond, je les envie.
Mon trône est un jardin semé de traquenards
Ce n’est pas une vie…
 
Ah ! ce fut le bon temps, quand je n’étais encor
Que le prince de Galles
Et que je partageais mon temps comme un décor
En deux tranches égales.

 
Et, comme si, ma foi, je n’étais pas d’ici
Mais bien des Batignolles,
J’en dépenserais une à Paris et l’autre aussi,
Loin de tous protocoles.
 
J’avais tous les loisirs d’un roi, l’autorité,
Sans en avoir la transe.
Et je n’étais qu’Altesse et je suis Majesté !
Voilà la différence.

 

Je vivais à mon gré, sans cérémonial.
Sans souci le plus mince,
Et je courais Paris comme un provincial
Qui vient de sa province.
 
Pour un oui pour un non, dessus mon yacht royal
Je traversais la Manche,
Rien que pour parier cent sous sur un cheval
A Longchamp, le dimanche.

 
Hélas ! je ne suis plus qu’empereur, Empereur !
O rêve ! ne plus l’être !
Dire du trône ce qu'en pense Mesureur,
Redevenir mon maître !
 
Non, paris ne peut plus me voir incognito.
J’y serais trop visible
Pour la jeune Tata qui m’appelle Toto ;
Cela n’est pas possible.

 
On ne m’y recevrait qu’officiellement.
Il me faudrait encore
Subir le galoubet de ce gouvernement
Que son néant décore.
 

Et ce serait, au lieu de soupers en smoking,
D’officielles épules
Cependant que ferait le God Save the King
Grincer mes mandibules…

 
Or, tandis que je vis comme dans un coma,
Mes cousins persévèrent…
Ce Georges ! ce Luitpold ! Décidément, c’est ma
Jeunesse qu’ils enterrent. »
 
 
RAOUL PONCHON
le Journal
29 août 1902

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