16 juin 2009

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LE VIN DE L'ACADEMIE
A mon ami Archbold Aspol


Un bonhomme dernièrement
Laissant un bon testament
A nos trente-six sieurs Quarante
Un vignoble à titre de rente,
Sis par là-bas dans le Médoc
Si ce n’est le Languedoc.

- L’endroit ne fait rien à l’affaire. -
Un vignoble ?
Vraiment, qu’en faire ?
Se demandèrent aussitôt
Ces buveurs - pour la plupart - d’eau.
Il s’agit de se réunir
Et d’en discuter à loisir.
Ils décidèrent donc d’emblée
D’une plénière assemblée
Où tous vinrent jusqu’au dernier.
Et ce fut Henri de Bornier, *
Duc et prince de l’Yperbole,
Qui prit tout d’abord la parole
En ces termes ou à peu près :


« Messieurs, Dieu vous gard’! buvez frais.
« Un ban d’abord à l’homme noble
« Qui nous a légué ce vignoble.
« Ce vignoble produit du vin,
« C’est-à-dire du jus divin.
« Or ce vin est-il bon ? sans doute.
« Pourtant il sied que l’on le goûte
« Paravant de l’accepter.
« Je vais de ce pas le goûter.
« J’en ai justement, sapristoche !
« Un échantillon dans ma poche,
« Voyons ça…
Nunc est bibendum
« Comme dit Horace… hum… hum !
« Eh bien, il n’est pas frénétique
« Ce vin, mais il est authentique
« - C’est quelque chose - il est simplet,
« C’est-ce qu’on nomme un reginglet.
« Ça n’est pas un vin de Parnasse,
« C’est une petite vinasse
« Agréable ni plus ni moins.
« Mais, que les dieux m’en soient témoins !
« Il n’en faudrait pas beaucoup boire
« Pour qu’elle foutît la foire,
« J’en craindrais plutôt les effets.

« Vous pouvez m’en croire, j’en fais.
« D’un autre côté notre vigne
« Encore que par trop indigne
« Produit bon an mal an, de vin
« Quinze ou vingt pièces… mettons vingt.
« Ça nous fait à chaque Quarante
« Une demi-pièce… de rente.
« A moi cela ne suffit pas
« Qui bois trois litres par repas.
« Donc, ce petit vin giratoire
« Nous nous garderons de le boire,
« Certain, chers collègues, d’ailleurs
« Que vous en avez de meilleur :
« Alors, quoi ? Nous faut-il le vendre ?
« Non plus. Veuillez encor m’entendre :
« Il vaut, la pièce, frais payés,
« Cinquante francs. Ainsi, voyez.
« Le même calcul se répète :
« Cela fait vingt-cinq francs par tête,
« Ce qui est bien un différent
« Car vingt-cinq francs de plus par an
« N’augmenteraient pas notre aisance.
« Le moindre jeton de présence
« Nous en rapporte tout autant ;
« Mais enfin ce vin… cependant
« Il faut en faire quelque chose ?


« Eh bien, messieurs, je vous propose
« De donner simplement ce vin
« A quelque joyeux écrivain,
« Lyreur et poète divin
« Aimant à rire, aimant à boire
« Ainsi que madame Grégoire,
« Mais que sa misère notoire
« Réduit à chanter dans les cours…
« On en rencontre tous les jours.
« Quant à moi, je suis hors concours. »



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
05 janvier 1896
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