13 juin 2009

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PRINTEMPS
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C’est la saison des petits pois,
Des femmes, du ciel ineffable,
Où les jolis dieux de la fable
Se réveillent au fond des bois ;

Où les nymphes aux chairs vermeilles,
Aux yeux verts, au corps ingénu,
Au premier poète venu
Montrent tout, jusqu’à leurs oreilles.

Et cependant, ô ferlampier !
Que ton Paris, en quelque sorte
A déjà l’haleine un peu forte
En même temps qu’il sent le pied.

Les petites fleurs étoilées
Des prés nouvelets et des bois,
Celles que cueillaient autrefois
Ses petites mains potelées,

Les fleurs des Avrils et des Mais,
Muguets, pâquettes primeroses,
Semblent dire : Sommes écloses,
Venez, amants, qui nous aimez…


Et toi, tu restes dans ta ville
A chiquer ton affreux tabac
Qui te massacre l’estomac
Et te rend le cerveau débile.

Va pauvre couyon, va vieillir
Autre part et plus loin qu’Asnières,
Et cueille les fleurs printanières
Pendant qu’elles sont à cueillir.

Pour moi, dès que vient l’avrillée
Je sens dans mon cœur plein d’hiver
Le besoin de mener au vert
Ma muse en la ville exilée ;

Pour les gazons les plus chétifs
J’éprouve des tendresses folles ;
J’aime les plus humbles corolles
Du moins pissenlit des fortifs…

Oui, de grâce, un peu de nature ;
Allons rêver avec Corot :
C’est trop, en vérité, c’est trop
De six mois de littérature.


Est-ce possible ? Avoir vécu
Dans cette atmosphère malsaine
D’art inutile, faux, obscène,
En Parisien convaincu ?

Ah ! zut ! Paris, pour tes délices
Bran pour la coupe des plaisirs ;
Il naît en moi d’autres désirs,
Je veux boire à d’autres calices.

Drames où j’ai ri, vaudevilles
Qui me mirent la larme à l’œil,
Et l’âme pour longtemps en deuil.
Ah ! mon Dieu, vos gaîtés serviles !


Je faillis mourir étouffé
Par la carne intellectuelle
Que Zola nous vend chez Fasquelle,
Et les Salons m’ont échauffé.

Seigneur qui veillez sur ma hure !
Qu’est-ce à cette heure qu’il me faut,
Sinon un vin sans défaut
Au sein de la verte nature ?


Sinon ouïr dans les roseaux
Frissonner l’haleine des brises,
Sinon me trouver aux cerises
En même temps que les oiseaux.


Ah ! le plus innocent poème
Par un bonhomme raconté !…
Si Peau-d’Ane m’était compté
J’y prendrais un plaisir extrême.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
17 mai 1896

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