25 juin 2009

.
.
.
MEFIEZ-VOUS DES PEINTRES
.
La nature… c’est un trait qu’on fait courir.
(TANZI, Passim)
 
Bonshommes, bonnes femmes, choses,
Vivants ou morts, entre les deux,
Fuyez-moi ces peintres hideux,
Ou je ne vous vois blancs ni roses.
 
Fuyez Jeannes d’Arc et Lédas,
Pompiers, généraux et Rois mages,
Chaudrons, casseroles, fromages ;
Fuyez laboureurs et soldats.
 
Fuyez, vénérables familles,
N’allez pas poser chez les Gervex
Il ne peint plus qu’à l’huile d’Aix :
Buvez chez vous vos camomilles.
 
Princes, n’allez pas chez Béraud
Pour que de sa brosse il vous peigne,
Une bonne gueule d’empeigne
Aussi sûr que je lâche un rot. (Ici je rote.)


Toi, Christ, retourne chez Pilate :
Tu y seras bien mieux traité,
Je te le dis en vérité,
Que chez Munckaczy le Croate.
 
Redoute le beau Carolus,
Femme du monde, plutôt snobe,
C’est les cassures de ta robe
Qui le frappent chez toi, sans plus.
 
Crains de même pour ton minois,
Le lorgnon noir de Bonnat. Diable !
Vois-tu, cet homme impitoyable
Ne peint guère qu’au brou de noix.
 
Restez dans votre puits, la môme
Vérité : gardez les secrets
De votre corps si beau, si frais,
Pour d’autres que monsieur Gérôme.


Lorsque vous voyez Bouguereau,
Fuyez, ô nymphes des fontaines !
Molles Vénus, Dianes hautaines,
Les caresses de son blaireau.
 
Petits tendrons, bons pour la sorgue,
Que si vous poser pour Henner,
Tout à l’heure vous aurez l’air
De venir tout droit de la Morgue.
 
Vous voulez aller chez Benner ?
Croyez bien que ça m’indiffère ;
Mais c’est une semblable affaire :
Chez lui, l’on n’y voit pas plus clair.
 
Petits coins charmants de nature
Intimes et silencieux,
Méfiez-vous de ces messieurs
Munis de leur boite à… ordure.


Restez, loin de leurs yeux, tapis ;
Autrement tous ces barbouillistes
Vont faire de vous de bien tristes
Et de démesurés tapis.
 
O fleurs ! Où tant de grâce éclate,
Qui nous charmez à chaque pas,
Vous qui remplissez ici-bas
Une mission délicate ;
 
Vous par qui le sol ennobli,
Chatoie en pierres précieuses,
Gardez-vous, fleurs délicieuses,
De poser pour Raffaëlli !…
 
 
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
03 mai 1896
. 
.

Aucun commentaire: