27 juin 2009

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L’autre jour, comme j’avais honte
De mon veston parisien,
Je m’offris un laissé pour compte
Dans un bazar tunisien.

Je mis un tarbouch sur ma tête,
Un yatagan à mon côté.
J’avais l’air d’un fils du Prophète
Et bien plus haut je me cotai.

C’est inouï ce qu’un costume
Pareil peut faire d’un chrétien ;
C’est un autre moi qui s’allume.
Vous savez… il suffit d’un rien…


Aussi bien, comme dit Corneille
Ou… Chose, chacun porte en soi
Un Oriental qui sommeille
Jusqu’à ce qu’il trouve un emploi.

Sous le soleil impitoyable
Qui sévit en ce moment-ci,
Je fus bientôt, comme le diable,
Supérieurement roussi.

J’adoptai, telle une sultane,
Etant bien plus souple qu’un Z
Une allure mahométane,
Et je m’appelais Mohamed.

Puis pour être plus dans mon rôle
D’exotique, je demeurai
Tout le jour au Trocadérôle
A faire les cent pas carrés.

Ainsi, j’étais méconnaissable,
Vraiment d’un tout autre bateau…
Et je pouvais, joie ineffable,
Jouir de la vie incognito.



Vous pensez bien, messieurs, mesdames,
Sans vouloir vanter mon coco,
Que toutes les petites femmes,
Me prenant pour un Arbico,

Me lançaient des coups d’œil de marque
Qui voulaient dire : Viens, beau noir.
Mais comme Don Juan sur sa barque
Je passai sans daigner rien voir.

J’eus tort peut-être, car si j’ose
J’eusse fait des affaires d’or…
Que voulez-vous ?… pareille chose
Ne m’était arrivée encor.

Pour la mangeaille, plus habile,
A chaque instant je mangeai du
Couscoussou bougrement kabyle,
Avec me doigts bien, entendu ;

Ou, dans quelque turque boutique
De confitures et boumboums
Qui sentaient la crotte de bique
Je me bourrai de ratloukoum

Des fois j’allais voir des almées…
La nuit vint, c’était bien son tour -
Et la lune fut allumée.
Tout à coup du haut d’une tour

Le muezzin d’une voix austère,
Les deux bras tendus vers le ciel,
Sembla raconter à la terre
Quelque chose d’essentiel.


Je ne suis pas fort en arabe,
Mais j’en sais tout de même un peu :
Il disait en toutes syllabes :
« Il n’y a d’autre Dieu que Dieu. »

La voix psalmodiait sonore
Quelques autres mots absolus
Que je vais vous traduire encore,
Il ne m’en coûtera pas plus.


Elle disait : « Hommes et femmes,
Allez coucher ensemble, mais
D’abord recommandez vos âmes
A celui qui ne dort jamais. »


RAOUL PONCHON
le Journal
21 mai 1900

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