24 juin 2009

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CHACUN SA DUSE
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1897. Le Théatre-Français reçoit Eleonora Duse *, actrice italienne mythique, que l'on considérait à l'époque la grande rivale de Sarah Bernhardt... Le Français a toujours gardé rancune à Sarah qui rentrée à la Comédie Française à dix-huit ans, en sort très rapidement après avoir giflé une sociétaire bien plus âgée qu'elle... Ponchon vouait une grande admiration pour Sarah Bernhardt et se moque du discours du Sociétaire...
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Que c’est gentil, d’avoir voulu loin des flatteurs,
Des bravos trop bruyants, ou des éloges fades,
Chère actrice, venir ici chez des acteurs…
… Votre voyage en France apporte une clarté…
… Ce n’est plus un théâtre ici, c’est un palais,
Je voudrais bien entrer au Théatre-Français.
Vous que nous admirons, madame, à deux genoux,
Vrai ! vous ne vous croyez pas trop grande pour nous ?
Notre maison est donc belle parmi les belles ?
Quand d’autres ont osé quitter son toit béni…
( Féraudy, Passim )
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Ceuss de la Comédie,
Les plaisants quoi qu’on en die,
Les sombres qu’il mourut,
Les qui l’eut cru,

De jeunes Théramènes,
Et de vieilles Chimènes,
D’antiques Chérubins,
De lourds Scapins

Au nombre d’onze ou douze
Ont offert à la Douze
Un - en catimini -
Macaroni.

Ce repas tout champêtre
Fut ce qu’il devait être
Entre gens distingués,
Gais, portugais ;

Quand on ne s’émeut guère,
Du profane vulgaire,
Quand on est entre acteurs,
Loin des flatteurs.

Des hors-d’œuvre à la fine
La chère fut surfine ;
Et l’on eut de l’esprit !
M’a-t’on écrit.

Prudhon fut impayable
Et Cadet, un vrai diable,
Accoucha de trois mots
Dont deux jumeaux.


Mais le clou de la fête

Ce fut quand le poète
Du groupe lut des vers
Belges d’Anvers,

Faits pour la circonstance,
Qui disaient, en substance,
- Si j’en ai bien saisi
L’esprit choisi : -

« Zut pour les journalistes,
Les snobs et les fumistes,
Et leurs bruyants bravos ;
Ce sont des veaux.

Leurs éloges sont fades.
C’est entre camarades
Que l’on doit s’admirer,
Se décorer.

« Si le public l’acclame,
A les accents se pâme,
C’est notre seul bravo
Qui vaut, prévaut.

« A cette heure où l’on doute,
Tu nous montres la route :
Tu es en vérité
Une clarté.


« Que ton art est donc simple !

( Où est ma rime en imple ?… )
Je veux dire qu’il est…
Qu’il est… qu’il est…

« Voyons… faut que j’en sorte…
Qu’il est en quelque sorte
Fait de simplicité,
De vérité.

« O magnifique Duse,
Ton talent me méduse,
J’ai toujours jalousé
Ton art, Douzé !

« Qu’est auprès de la tienne,
Grande comédienne,
Cette voix de canard
De la Bernhardt ?

« Et dire, Eléonore,
Que tu trouvais encore
Hier, non sans raison,
Notre maison

« Belle entre les plus belles,
Chapelle des chapelles
Et palais des palais !
Et tu voulais

« Quand tant d’autres poupées
Et non des moins huppées
Désertent notre toit,
Y entrer, toi !


« Ah ! Que tu es gentille

D’aimer notre famille !
Vrai, nous ne sommes pas
Trop raplapla ?

« Tu blottirais tes ailes
Loin de tes clientèles
Dans notre petit nid
Par Dieu béni ?…

« Un mot de plus, ô Douze !
Et tantôt je t’épouse…
A propos, m’as-tu vu
En roi Ubu ? »


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
1897
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