11 juin 2009

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VOIE TRIOMPHALE
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Oh ! faites que je la vois
Avant de mourir, Seigneur,
Cette triomphale voie
Qui nous fera tant d’honneur !

En France, comme nous sommes
Pressés comme des anchois
Sous le rapport des grands hommes,
Comment se fera le choix ?

Eh bien voilà : le principe
Demande à ce qu’il soit fait
Par ça qui nous municipe :
Les conseillers… le préfet.

On en connaît l’esthétique
Exercée en maints concours…
Il faut à la République
Les grands hommes les plus courts.

Ces lois une fois posées
Tu vois d’ici s’étalant
Le long des Champs Elysées
Dans un désordre galant

Nos gloires aléatoires,
Nos célèbres inconnus,
Nos bons auteurs giratoires,
Nos idiots parvenus.
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Effroyable pêle-mêle
De sempiternels pompiers,
De cervelles sans semelle,
D’hydrocéphaliques pieds !

Ce seront des avalanches
De Campistrouilles bai brun,
De Baculards, de Ballanches…
Comme d’Ecouchards Lebrun.

De Ducis, Thomas, La Harpe,
Viennet, Villemain, Ponsard…
Aussi fermés que des carpes
A toute manière d’art.

On verra Chénier, mais… l’autre
Corneille, mais… l’autre aussi :
Non pas ceux qui sont les nôtres,
Le jury le veut ainsi.

On verra des penseurs blêmes
Comme Cousin et Caro
Par qui, las ! tant de problèmes
Sont restés sur le carreau ;

Des savants que l’erreur blinde,
Têtus comme des mulets ;
Des sculpteurs de marrons d’Inde
Et des peintres de galets.


Des musicards somnifères
Ne sachant rien manier,
Capables au plus de faire
Danser l’anse d’un panier.

Et plus de notre imbécile
Régime on approchera,
Plus le choix sera facile,
Plus le neutre fleurira !

C’est ainsi - voilà qui navre -
Que le petit Foutriquet
Aura sa statue, et Favre
Egalement, et Floquet !

Et je le dis sans mystère
Pendant que je suis debout,
A coup sûr l’affreux Voltaire
Hideusera sur le tout.

Ainsi telle cette voie
Vous la verrez concevoir
Par nos édiles, cette oie
Qui, c’est bien facile à voir,

A cette haine infinie
Qu’à la médiocrité
Pour tout ce qui est génie,
Sous couleur d’égalité ;


Franc-maçonne et centre-gauche,
Fausse victime d’Arton,
Satisfaits d’une ébauche
De république en carton ;

Et qui - ça c’est une grâce
Afférente aux esprits forts
Mais d’une ignorance crasse -
S’imagine qu’en dehors

De prudhommesques tartines
Il n’y a rien de certain,
Et qui croit que Lamartine
N’est que la femme à Martin.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
22 mars 1896

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