9 juin 2009

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CONSOLATION
à
« Du Perrier »
sur la mort de sa malle
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Je vais quitter Paris… la servante va donc me chercher une malle au grenier… il n’y a pas à dire, le vieux coffre n’en peut plus… Dès demain, il faudra que j’aille au Bon Marché pour me procurer une malle neuve… Cependant je ne me sépare pas volontiers des bons serviteurs… Je l’ai gardée trop longtemps cette malle caduque… Entraînant avec moi cette vieille malle… Combien j’ai voyagé ! Je vais repartir cependant mais c’est avec une singulière mélancolie que je considère cette malle qui s’est usée avant moi. (F. COPPÉE. Journal)
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Ta douleur, Du Perrier, est-elle donc constante ?
Infortuné martyr,
Au sein du désespoir as-tu planté ta tante
Dont tu ne peux sortir ?

Hier, tu pleurais ta bonne, aujourd’hui, c’est ta malle,
Et quoi diable demain
Pouvant intéresser ta glande lacrymale
Sera-ce d’inhumain ?

Je sais bien qu’elle était, cette malle vétuste,
De bonne qualité
Lorsque tu l’achetas, sans pouvoir dire au juste
Ce qu’elle t’a coûté ;

Que cette malle était en forte peau de balle,
Souple comme un bambou,
Et qu’il aurait fallu des dents de cannibale
Pour en venir à bout.

Et qu’elle t’a suivi dans tes mille aventures,
Recevant plus d’un gnon,
De tes déplacements et villégiatures,
Docile compagnon.

Mais enfin, ô poète, elle était de ces malles
Comme on en voit partout,
Au Louvre, au Bon Marché, quelconques et normales,
Fragiles, après tout.


A cette heure elle jouit d’une assez sale gueule,
De tes propres aveux,
C’est une loque informe et minable, une aïeule
Qui n’a plus de cheveux ;

Elle fuit de partout, elle n’est plus d’équerre.
Sa seule fonction
Est d’être vieille. Eh bien ! cela ne passe guère
L’imagination.

Vieillir, jeune immortel, ce destin est le nôtre :
Tous soins sont superflus.
Si tu n’as plus de malle, achètes-en une autre,
Et qu’on n’en parle plus.

Hélas ! que j’en ai vu mourir de vieilles malles
Et de jeunes aussi,
Sans avoir desséché des stations thermales,
N’ayant bougé d’ici.

Parfaitement. Oui, moi, rimailleur sans fortune,
O poète, sais-tu
Qu’avec mon air de rien, j’en ai perdu plus d’une,
De malle, et m’en suis tu.

Une malle autrement célèbre que la tienne
C’est bien celle, à coup sûr,
De ce pauvre Gouffé (que le ciel le maintienne
Joyeux, en son azur !)


Eh bien ! Le malheureux ne fit pas tant d’histoires,
Et cependant chacun
Affirme qu’elle et lui - pylades méritoires -
Semblaient ne faire qu’un !

Et donc, ne pleurons pas, car c’est pure folie,
Sur un si mince objet
Qu’une malle ! oh ! laissons cette mélancolie
A monsieur Paul Bourget !

Pleurons sur nous plutôt, sur nos malles ensuite,
S’il nous reste des pleurs,
Puisqu’aussi bien la Mort emporte, dans sa fuite,
Les malles… et les fleurs.

« La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles. »
On a beau chiâler,
Quant cette garce vient nous tirer les oreilles,
Faut quand même y aller :

Et dans cette contrée antirhumatismale
- Rapporte-t’en à moi -
Où il est superflu d’emporter une malle
Qui servirait, à quoi ?


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
09 février 1896

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Consolation à
M. du Perrier sur la mort de sa fille
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Ta douleur, du Perrier, sera donc éternelle ?
Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
L’augmenteront toujours ?
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Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?
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Je sais de quels appas son enfance était pleine ;
Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.
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Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
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Puis, quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu’en fût-il advenu?
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Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d’accueil
,Ou qu’elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?
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Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ôte l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au deçà de la barque,
Et ne suit point les morts.
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Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale ;
Et Pluton, aujourd’hui,
Sans égard du passé, les mérites égale
D’Archémore et de lui.
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Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes ;
Mais, sage à l’avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
Éteins le souvenir.
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C’est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le cœur affligé,
Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d’être allégé.
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Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que la nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’âme d’un barbare,
Ou n’en a du tout point.
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Mais d’être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N’est ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui ?
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Priam qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support,
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.
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François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son dauphin,
Sembla d’un si grand coup devoir jeter des larmes,
Qui n’eussent point de fin.
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Il les sécha pourtant, et comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si perfide
La honte fut le fruit.
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Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.
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De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre
Je me suis vu perclus ;
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre,
Qu’il ne m’en souvient plus.
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Non qu’il ne me soit grief que la tombe possède
Ce qui me fut si cher ;
Mais en un accident qui n’a point de remède
Il n’en faut point chercher.
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La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier.
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Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre
Est sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend point nos rois.
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De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.
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FRANCOIS DE MALHERBE
STANCES
1599
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