4 juin 2009

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IMPÔT SUR LES CELIBATAIRES
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O lectrices en qui j’ai foi,
Lecteurs de poids et de calibre,
Une bonne fois, dites-moi :
Suis-je libre en un pays libre,

Comme on en fait courir le bruit ?
Je l’étais du temps d’Henri Quatre,
C’est possible. Mais aujourd’hui,
Je dis joliment en rabattre.

Chaque jour, à ma liberté,
Apporte une nouvelle entrave.
Je serai libre cet été…
Pour l’instant je me crois esclave.

Tantôt l’État fronce un sourcil
Et dilapide ma fortune.
Autant grêler sur le persil…
Tantôt ce triple veau de Lune,


Sans souci de mon boulanger,
Pose sur moi sa forte éclanche,
Et veut lâchement m’obliger
A me reposer le dimanche !


Mais cela, ce n’est rien encor.
Qui donc - Monsieur Piot peut-être,
En tous cas, un premier ténor
De la chambre, parle de mettre

Un impôt sur le célibat ?
O Dieux ! si vous m’êtes propices,
Epargnez-moi ce nouveau bât,
Je vous ferai des sacrifices.

*
*... *


Jusqu’à ce jour, je croyais bien
Imprescriptible, élémentaire
Le droit de chaque citoyen
A demeurer célibataire.

A cela Piot me dira :
- « Tu mérites qu’on te mutile.
La société, scélérat,
Ne veut pas de membre inutile. »

Membre inutile est bientôt dit.
Et qu’en sais-tu, père Gigogne,
Si j’en suis un ? Fais-moi crédit ;
Tu ne connais pas ma besogne.


Sans y regarder de si près,
Il est plus d’un enfant sur terre,
J’estime, dont fit tous les frais
Tel furieux célibataire ;

Enfant des mieux constitué,
Qui, tout comme la coterie,
Au besoin se ferait tuer
Pour la gloire de sa patrie.


Le problème est donc résolu.
Me marier ! La belle affaire !
Ça ferait un cocu de plus.
Il en est assez sur la sphère.

Dussé-je finir au Dépôt,
J’y finirai célibataire.
Pour quant à payer cet impôt,
La peau ! Tel est son caractère.

Si l’État n’a pour subsister
Que mon argent… en quelque sorte,
Il peut, dès ce jour, se compter
Parmi les choses les plus mortes.



RAOUL PONCHON
le Journal
18 mars 1907

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