19 mai 2009

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LE LION et L'ÂNE
(Fable)
Si l’on jugeait les gens à la barbe,
Les boucs pourraient prêcher.
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Un jour l’Âne-Gouvernement
- Voilà bien des siècles, vraiment -
Se mit en tête
De faire
- comme on dit - la fête.

Voilà donc notre pauvre fol
Rompant son bât et son licol,
Et dans le sein vert des prairies
Se livrant à mille… âneries,
Brayant et ruant à la fois
Et pétant à fendre du bois.
Tout à coup, ivre de colère
Survint le
Lion populaire.
Il demeura tout interdit
Devant cet animal maudit :
Oncques il n’avait vu d’oreilles
P
areilles :


« Qui donc es-tu ? quel est ton nom ?
Tu fais plus de bruit qu’un canon.
Serais-tu fort ?… - Moi, je suis l’Âne,
Et je m’appelle Aliboron,
Répondit l’autre. Et, Dieu me damne,
Si tu n’es pas un moucheron
Auprès de moi, prince des gourdes !
Ma force gît dans mes esgourdes.
- Eh bien, dit le prince alléché,
Faisons tous les deux un marché :
A partir de ce jour, ensemble
Courons le monde, que t’en semble ?
Nous serons les maîtres ainsi
Des autres animaux, car je suis fort aussi.
- Ça va, dit notre brute,
Partons, sans perdre une minute. »


Au bout d’un temps une rivière
Leur fait une humide barrière.
Le Lion l’a franchit d’un bond.
Mais l’Âne eût aimé mieux un pont.
Pourtant, dans les flots il s’élance
Et malgré quelque résistance
Tout de même atteint l’autre bord.
« En vérité tu n’es pas fort.
Que me disais-tu donc, vieux drille ?
Tu ne sais pas même nager !
- Moi ! je nage comme une anguille,
Mais un poisson me fit plonger
Qui m’avait saisi par la queue.
Il avait trois mètres de long.
- Soit, je veux bien, » dit le Lion.



Ils firent encore une lieue,
Tout en palabrant du Futur,
Quand ils donnèrent contre un mur.
Sans plus s’attarder à l’obstacle,
Le Lion d’un bond le franchit.
Tandis son compagnon renâcle,
Et tergiverse et réfléchit.
Enfin, grâce à quelque saillie,
Non sans une peine inouïe
Le voilà de l’autre côté.
« Oh ! parbleu ! tu m’en as conté.
Tu n’es qu’une simple mazette,
Dit le Lion. Je suis le plus fort.
- Bon, dit l’autre en faisant risette,
Parions à qui de nous deux
Renversera ce mur. Tu veux ?… »


Aussitôt le Lion s’arcboute
Et donne de sa force toute.
Avec ses pattes et son front
Il cogne comme un bûcheron,
Devant Aliboron qui raille,
Sans même entamer la muraille.
Il ne fit que se mettre en sang…

« Allons, à mon tour, à présent,
Dit l’Âne. Admire, camarade. »
Alors, de ruade en ruade,
Il fit si bien de ses sabots
Que le mur fut tôt en lambeaux.

« C’est vrai, tu es un grand Alcide,
Déclara le Lion candide,
Je vais, à partir de ce jour
Te faire assidûment ma cour… »



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
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