28 mai 2009

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ALIMENTS PURS
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Le premier congrès de Genève a été consacré aux définitions de l’aliment pur.
(JOURNAUX)


A peine étais-je assis à table,
Dans un cabaret confortable
Assez connu pour son Vatel,
Que surgit un maître d’hôtel,
Bouche en cœur, avec le sourire,
Et superbe, je dois le dire.
Tout d’abord, il se crut tenu
De m’exciter sur le menu,
Sur des veloutés, des suprêmes,
Des jus, des coulis et des crèmes
Fort réputés dans la maison, -
Disait-il, - mais dont le blason
Fut toujours pour moi sans prestige.
« Non, non. Pas de sauces, lui dis-je.
Non plus de vos salmigondis…


Ecoutez bien : beurre et radis.
Je dis beurre et non margarine
Et autres, de même farine.
Après cela, je mangerais
Assez volontiers des œufs frais.
J’appelle œufs frais, sans équivoque,
Ceux-là que l’on mire… à la coque.
Puis, ce sera des escargots
En escargot de tout repos,
Non en mou de veau qu’on maquille
Et qu’on met dans une coquille.
Ensuite… un rouget, - mais, pardon !
Que ce ne soit pas un gardon.
Vous ferez suivre l’entrecôte,
Avec quelques pommes pont-neuf.
Mais, je le dis à voix bien haute :
Une entrecôte est cette viande
Prise entre deux côtes d’un bœuf,
Selon une ancienne légende,
Et non, si ça vous est égal,
Dans la
« culotte » d’un cheval.
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Après… voyons… que mangerai-je ?
Je m’appuierais bien un perdreau,
S’il est assez frais et pas trop.
Surtout, merci du privilège,
Si vous me servez un corbeau
N’ayant que les os et la peau.
Qu’une salade l’enjolive,
Si toutefois l’huile est d’olive,
Comme le vinaigre de vin.
Je veux bien, si je suis en verve,
Pourvu qu’il ne soit de conserve,
Un légume quelconque. Enfin,
Je consens à quelque fromage,
S’il n’a pas subi l’écrémage
Et s’il ne marche pas tout seul,
Bref, si ça n’est pas un aïeul…


Quant au vin que je compte boire,
Qu’il soit simplement péremptoire,
Voilà tout, en sa probité,
Pur jus de raisin fermenté.
Entremets… desserts, je m’en passe.
Mais je veux une demi-tasse
De café. J’appelle café,
Vous savez, non du gland râpé,
De la chicorée… aussi pire,
Mais le seul café, je veux dire
Des grains de café, quoi ! Sans plus,
Torréfiés et bien moulus,
Que dans l’eau, si je ne m’abuse,
Très soigneusement on infuse.


Les liqueurs, je n’en parle pas.
On n’en trouve plus ici-bas.
Vous m’en donnerez tout de même ;
Mon estomac, un vrai poème,
Depuis longtemps, vous pensez bien,
Ne va plus s’étonnant de rien.
Je finirai par un cigare?
Que s’il est en feuilles de chou,
Vous pouvez le garder pour vous ;
Mon goût, jusque-là, ne s’égare.
J’aime les choux en tant que choux,
Et non pas en tant que cigares.
D’ailleurs, j’y puis mettre le prix.
Ainsi donc, vous m’avez compris ? »


« Oui, me dit-il, je vous écoute.
Mais monsieur veut rire, sans doute ?
En vérité, si tous les gens
Etaient à ce point exigeants,
Ce serait notre mort subite,
Nous aurions bientôt fait faillite. »

RAOUL PONCHON
le Journal
28 octobre 1908
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