11 mai 2009

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APOTHEOSE
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Ce serait une erreur de croire que ces choses
Finiront par des chants et des apothéoses.

(Châtiments)
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On leur z’y avait dit : « Hugo ? C‘est un poète.
Ce n’est pas, en effet,
Un soldat laboureur, un canard à deux têtes…
Un ancien préfet…

« Un professeur de kurde, un marchand de lorgnettes…
Il n’a jamais été
Non plus, croyez-le bien, deuxième clarinette
A l’Alcazar d’Eté.

« C’est un poète, et qui plus est, pas ordinaire.
Que diriez-vous donc si
L’on fêtait dignement son petit centenaire
Qui tombe ces jours-ci ?… »

Ils avaient répondu : « Heu ! heu ! bast ! un poète !
Un fabricant de vers !…
Il suffit largement à sa lyre muette
De quelques lauriers verts.


« La République n’a que faire de romances.
Au surplus votre Dieu
Nous a déjà coûté des pépettes immenses
Le jour qu’il devint feu.


« Que si tous les cent ans sur cette tombe éclose
Nous étions condamnés
A jeter des drapeaux, des lampions et des roses,
Nous serions tôt ruinés…


« Enfin… soit. Il ne faut mécontenter personne.
Du mieux que nous puissions
Commémorons Hugo. D’autant que l’heure sonne
De nos élections. »

Ils achetèrent donc trois cent mètres de percale
Teinte des trois couleurs,
Un vieux stock d’écussons en fausse chrysocale,
Et deux bottes de fleurs ;

Ils ornèrent du tout le monument grotesque
Qu’on doit à Barras,
Qui, prétextant Hugo, n’a représenté presque
Qu’un nommé Babylas.

Et tout autour rangés, d’affreux, cacochymes
Académiciens
Vêtus de vert, munis de cornets acoustiques,
Sortes de batraciens ;



De rouges magistrats laissant pendre leur langue,
Et dont l’âme est ailleurs ,
Des députés pochards dont la gidouille tangue,
J’en passe et des meilleurs…

Ces quatre pelés - dis-je - écoutent monsieur Leygues
Glorifiant Hugo !
Car, naturellement fut choisi le plus bègue
Et le plus wisigoth.


Et d’autres après Lui couvrirent d’épithètes
Falotes le Lyreur
Surhumain, et le prince acclamé des poètes,
Le pape et l’empereur !


C’est ainsi que finit cette cérémonie.
C’est ainsi, mon neveu,
Que nos sieurs gouvernants glorifient le génie !
S’en dresse mon cheveu !



Moi, j’eusse compris ça de tout autre manière.
J’aurais voté surtout,
En l’honneur de Hugo, quelque amnistie entière…
Mais, on ne pense à tout.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
02 mars 1902

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