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UN FAUTEUIL
à prendre ou à laisser
.Que le diable t’emporte,
O toi qui, tôt ou tard,
Sonneras à la porte
De la boite à Pingard !
Rêver de la coupole !
Ne dormir du fauteuil !
Quelle ambition folle,
Ou quoi manque d’orgueil !
Aller, l’âme peu fière,
Dans un délai prochain
Chez Chose… Brunetière
Et chez Thureau… Machin !
Gratuler Clarétie
Sur son auteur lillois ;
Dire à cette vessie :
Cher maître… votre voix ?
Puis, sortir de ta malle
Un discours melliflu
Sur feu le duc d’Aumale
Que tu n’as jamais lu ;
Etre dit le collègue
Du Suisse Balbullier
Autant laisser ses grègues
Au cirque Mollier.
*
* ...*
Quoi ! Serais-tu poète ?
Et tu veux là siéger ?
C’est comme un gypaète
Qui voudrait s’encager.
Je doutes que tu puisses
Rêver sort plus amer :
C’est songer aux lacs suisses
Lorsque tu vois la mer ;
C’en est pour une moufle
Lâcher un fruit vermeil,
Et contre une camoufle
Echanger le soleil ;
C’est ayant des étoiles
De premier numéro,
Rêver devant des toiles
De Monsieur Bouguereau ;
C’est trouver la nature
Possible dans l’exil,
Et dire : ma verdure
Est un peu de persil ;
Prendre pour diadème
Un bicorne chapeau,
Quand la nature même
Est to moindre oripeau
C’est un baiser de vieille
Dont tu fais tes choux gras,
Quand la Muse vermeille
Se pâme entre tes bras ;
C’est ton temps qui se passe
Avec de vieux messieurs,
Quand tu peux face à face
Causer avec les dieux.
*
*... *
Oui, je sais… Lamartine,
Hugo… Musset… Vigny ?
Je connais la tartine…
D’ailleurs… es-tu Vigny ?…
Oui, sans doute, ils EN furent :
Eh bien, ils eurent tort.
Et songe à ce qu’ils durent
Subir d’affronts d’abord.
Les atroces visites
A des Royer-Collards.
Des ostrogoths, des Scythes,
Terriblement vieillards,
Se payèrent leur tête ;
Et notre grand Hugo,
Le prince des poètes,
L’élut-on tout de go ?
Et de Vigny farouche
Fut-il pas immolé
Par cette fausse couche
Qu’on appelait Molé ?
Et Leconte de Lisle
Blagué par Dumas fils
Comme un simple imbécile
Pendant trois heures dix ?…
Qu’aille s’asseoir la prose
Sur ces fauteuils tentants,
Toi, va cueillir la rose
Aux lèvres du Printemps ;
La vraie académie,
O poète, mon fieu,
C’est l’amour de ta mie
Et la crainte de Dieu !
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RAOUL PONCHON
le Journal
17 mai 1897
RAOUL PONCHON
le Journal
17 mai 1897
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