1 mai 2009

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AUBERGES SACREES
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Le long des côtes bretonnes,
Çà et là, souvent
Tu vois des couvent de nonnes
A l’abri du vent,

Bien situés, confortables
Sous le firmament,
Avec parcs, jardins, étables,
Tout le tremblement.

Tu le dis : « les braves filles !
Qui, dans ce beau lieu,
Loin des humaines bisbilles,
Ne songent qu’à Dieu. »

Sans doute, et même avec zèle,
Et neuf fois par an.
Mais, à ces époques, elles
Le lâchent d’un cran.

Ces chastes couvents de vierges,
Ces communautés,
Se transforment en auberges
Pendant tout l’été.


Ainsi, dans le misérable
Petit trou pas cher
Où je dorlote mon râble,
Mettons : X…-sur-Mer,

Elles sont là trente nonnes,
Et peut-être plus,
Tant cuisinières que bonnes
Aux charmes joufflus.

Celles-ci font la popotte,
Veillent aux rôtis ;
Celles-là cirent les bottes,
D’autres font les lits.

Ne crois pas entrer chez elles,
Remarque-le bien,
Comme chez des demoiselles
De peu ou de rien…

Tu n’y peux entrer qu’avecque
Un permis signé
Par Monseigneur l’archevêque
Et contresigné


Par le maire et par l’alcade ;
Il te faut plusieurs
Papiers et certificats de
Bonne vie et mœurs.

Et, je l’admettrais encore,
Après tout, n’était
La nourriture incolore
Qu’on vous y soumet.

Elles nourrissent les âmes
Plutôt que les corps.
Vous pèserez trente grammes
Si vous n’êtes pas morts

Au bout d’un temps. Les mâtines
Ne font en vous choir
Qu’Angélus et que matines,
Du matin au soir.

De plus, ces vertus camuses
Ne tolèrent pas
Que les voyageurs s’amusent
Entre les repas.

Je ne dis rien de leurs prêtres,
Qui sont légion,
Comme absolument les maîtres
De la situation.


Le recteur condamne en chaire,
Au nom de la Croix,
Jusques à la bonne chère.
Parbleu, je te crois…

De temps en temps, il radote
Sur le Casino,
Dont il n’a pas la cagnotte
Ni le piano…

Je ne sais rien d’aussi bête.
C’est à s’arracher
- comme dit l’autre - la tête,
Et se la mâcher.


RAOUL PONCHON
le Journal
05 août 1901

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