3 mai 2009

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LE CHEVALIER AUX FLEURS
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A Georges Rochegrosse *
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Sous un ciel sympathique *
Profondément d’azur
Le Chevalier mystique
S’en va vers le futur.

Il est avec aisance,
Superbe, bel et gent ;
Et tranquille il s’avance
Dans la magnificence
D’une armure d’argent.
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Et voici que commence
Dans une plaine immense
Qui s’émeut sous ses pas
Un vaste et joyeux branle-bas.


Ce sont de jeunes Floramyes
Aux yeux ensorceleurs,
Des débats querelleurs ;
Belles qui, femmes endormies,


S’étonnent bruyamment de se réveiller fleurs ;
A moins que ce soit le contraire
Si cela peut vous satisfaire.

Ce sont des femmes-roses
Ce sont des femmes-lys
Subitement écloses,
Et des femmes-glaïeuls et des femmes-iris
Et des femmes volubilis.



On dirait une gamme
De corolles de femmes
Sinon de fleurs de chair,
Fulgurante comme l’éclair
Laissant une ombre verte et lilas clair.

Ces voluptueuses sirènes
C’est l’essaim turbulent
C’est le bétail ardent
Des passions humaines
Qui vont cullebutant
Sous l’inflexible fouet de quelque un qui les mène.


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Ce sont toutes les vanités
Du monde, l’importune
Flore des nullités :
Amour, gloire, fortune
Poussant comme chiendent dans le sein des cités.

Et ces nymphes vermeilles
Offrent leurs jeunes seins
Leurs croupes non pareilles
Et bien d’autres merveilles ;
Voluptueux coussins.

Et c’est bien en vain que les pauvres filles
Etalent mille attraits
Gambillent et frétillent,
Se jettent dans ses quilles
Et le serrent de prés.

C’est en vain que leur gaieté sonne
Aussi fraîche que les fleurs
Notre héros n’y est pour personne
Et ses yeux sont ailleurs.


Il écarte d’un geste
Nonchalant de la main
Ce sérail immodeste
Qui barre son chemin
Et voudrait l’arrêter au moins jusqu’à demain.

Car toute cette chair splendide
L’indiffère et seulement fleurit
Son armure limpide
Sans autrement toucher son cœur et son esprit.

Car toute cette flore en vie,
Cet amoureux butin
Ne saurait plaire à son envie,
Son rêve est plus lointain,
Son rêve est plus certain.

Car le Poète, sur la terre,
Le bon Chevalier solitaire
N’a rien qui contente son vœu ;
Il est malheureux comme pierre
Tant qu’il n’a la clé du Mystère
Que détient le grand X,
DIEU.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
03 juin 1894
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