26 avr. 2009

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JOURNAL DE ROUTE
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Les « Mors » vont vite. *
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Parti le matin, dès l’aurore,
Très en forme, bien reposé,
Le cœur et l’esprit tricolores,
La barbe et le cheveu frisés,

La route roule sans limite.
Le temps est beau, c’est la saison.
Hurrah ! hurrah, les « Mors » vont vite !
Ils avaleraient l’horizon.

Jusques Reims, rien de notable.
Arbres… maisons, comme partout.
Çà et là, gêneurs détestables,
Indigènes, bestiaux itou.

Traversé Sedan, ville noire
Et qui m’a rappelé les plus
Sales jours de notre histoire.
Insister serait superflu.


Frontière. Retard au contrôle.
De plus, et pour renouveler
Ma provision de pétrole,
Obligé de me détaler.

Enfin, reparti. Je rattrape
Mes concurrents en Luxembourg.
Rien, à vrai dire, ne me frappe
De ce pays. Comme toujours,

Des maisons… des artères. En somme,
Vous pouvez vous lever matin,
Rien ne se ressemble plus comme
Deux paysages. Sois certain

Que voyager est un vrai leurre.
Ou, que si tu bouges, ce soit
Pour bouffer du cent vingt à l’heure.
Encore ce n’est rien en soi.



Cologne. Ville sépulcrale
Jouissant, dit un auteur ancien,
D’une très haute cathédrale ?
Je l’aurais vue. Il n’en est rien.

Aix la Chapelle. Autre bricole :
Un enfant que j’écrabouillais.
Il eût mieux fait d’être à l’école.
Encore un peu je déraillais.

Hanovre. Une très riche ville,
Il parait ; bien qu’en y songeant,
Notre excellent père Banville
N’en put jamais tirer d’argent.

De fait, j’y perdis mes lunettes.
A Brunswick mon moteur prend feu.
A Munster, je perds ma casquette.
Magdebourg, encore un « cheveu » :


Je détripe une vieille femme,
Mais si vieille ! qu’elle avait tort.
Dieu prenne pitié de son âme !
Hélas ! nul n’évite son sort…

Je dois dire que sur les routes
Partout, fleurs, drapeaux… Qui croirait
Que dans ces pays de choucroutes
On nous porte tant d’intérêt ?

J’entends crier : « Fife la Vrance »
Avec un déplorable accent…
Enfin, sans plus autre incidence,
Berlin ! tout le monde descend.



RAOUL PONCHON
le Journal
01 juillet 1901

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Balade en Mors comme si vous y étiez :

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