10 avr. 2009

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Mardi-Gras n'est pas mort
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De tous les côtés on répète :
Mardi-Gras est mort. Dieu merci !
Je puis vous jurer sur ma tête
Qu’il n’en est rien ; il sort d’ici.

L’avez-vous pas vu dans la rue
Et dans ces derniers temps surtout ?
Comme en carême la morue
On le rencontre un peu partout.

Voyez-moi ces gueules fantasques.
Qui jamais ainsi grimaça ?
Ce ne peut être que des masques,
Car on n’est pas laid comme ça.

Aux hideurs de la face humaine
Il est des bornes, c’est forcé ;
Donc ce monde qui se promène
Est évidemment déguisé.


Oui, du haut en bas de l’échelle,
Et chacun selon ses moyens
Et sa tendance naturelle,
Citoyennes et citoyens

Se déguisent : Rothschild en riche,
Barrès en contempteur des lois,
Andrieux en homme-sandwiche,
Drumont en juif, Carnot en bois.


Arton se déguise en touriste,
Lesseps en Cottu pas content,
Simon (dit Biscuit), moraliste,
En prix de vertu rebutant.

Jules Ferry reprend sa trompe
Qu’il mit au Mont-de-piété ;
Clémenceau, si je ne me trompe,
Est en hussard persécuté ;


Bornier, ce lamentable ivrogne,
En académique miché ;
Floquet, né natif de Pologne,
En quelqu'un qui n’a pas touché ;

Ces messieurs de la
QUOI-QU’ON-DIE
Se griment en gens sachant bien
Ce que c’est qu’une comédie
Alors qu’ils l’ignorent combien !

Jule, en joueur de cornemuse
Paissant ces cerveaux et ces veaux…
Voilà bien, si je ne m’abuse,
Les chienlits les plus nouveaux.

*
* ...*


Mardi-Gras n’est pas mort ; vous-même,
Moi-même sommes déguisés ;
Mais, comme tous le sont de même,
Nous n'en sommes point avisés.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
19 fév. 1893

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