14 mars 2009

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ON EST PARISIEN ou ON NE L’EST PAS
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Les vrais Parisiens,
Les purs, les anciens,
Ceux qui virent le jour
Soit à Saint-Flour,

Soit à Pontoise… à Brive…
Voire à Tananarive,
Les seuls, quoi … les pas bêtes,
Les fortes têtes,

Ceux qui sont revenus
De tous pays connus
Et sans jamais avoir
Eté les voir,

Et dont le cœur s’exhalte
Seulement sur l’asphalte,
Et s’emplit d’amertume
Loin du bitume,

Ont pour vous des pitiés
Pour peu que vous quittiez
Aux mois de la chaleur
Paris - le leur !

Ils sortent de sa gaine
Cette vieille rengaine
Ebréchée et que souille
Une âpre rouille :


« Vous ne connaissez point
Le vrai Paris, à point,
Si n’y avez été
Pendant l’été.

« Automne, hiver… sans doute,
Et printemps, somme toute ;
Mais l’été, c’est le rêve,
C’est notre élève. »

Puis, ouvrant un grand bec,
Ils vous disent avec
Des larmes dans la voix :
« Le bois ! Le Bois !!!

«
Rien n’est plus poétique,
Plus aristocratique
Que ce bois de Boulogne
Et, qui qu’en grogne,

« Il n’est de vrai Paris
Que passé le Grand Prix ;
On n’est plus des anchois,
On est de choix.

« Ça n’est plus dans les rues
De ces foules bourrues
Qui vous arrêtent, rasent
Et vous écrasent ;


« Ce ne sont que rêveurs,
Que délicats viveurs
Remplis d’aménité,
D’urbanité ;

« Chaque être qu’on coudoie
Est un que l’on tutoie,
Un charmant camarade,
Un vrai pylade.

« On se trouve entre soi.
Et cela se conçoit :
Tous les snobs sont sortis,
Ils sont partis

« A la mer… la campagne…
Le Midi… la Bretagne…
Dans la belle nature,
Dans la verdure.

« La campagne ! oh, la, la !
Le beau sort que voilà !
Des vaches.. Des moutons,
Des margotons,

« Du fumier et des poules,
Des cochons… des ciboules…
Du foin, de la luzerne,
Et du pain terne ?


« Des oiseaux embêtants
Qui gueulent tout le temps,
Des paysans grossiers
Et tracassiers ?

« Et, quand il pleut - en outre -
Qu’est-ce qu’on peut y foutre ?
Frapper de ses élytres
Contre les vitres ?

« Eh bien donc, et la Mer ?
C’est toujours le même air
Et le même tableau :
De l’eau, de l’eau.

« Et sous le ciel prolixe
L’horizon, barre fixe
Immuable, éternelle,
Sempiternelle.

« Autant se rincer l’œil
Avec le pont d’Auteuil.
C’est plus accidenté,
Mouvementé… »

… Ainsi, dans leur sagesse
(Une vieille gonzesse)
Tous ces blanchis à Londre
Vont vous confondre ;


Tous ces Parisiens,
Les purs, les anciens,
Ceux qui virent le jour
Soit à Saint-Flour,

Soit à Pontoise… à Brive
Voire à Tananarive…
Les vrais, quoi, les pas bêtes,
Les fortes têtes.


RAOUL PONCHON
le Journal

26 juillet 1897
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