6 mars 2009

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VIN et ABSINTHE
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Un comité de dames rémoises vient d’adresser à un député une lettre de félicitation pour sa proposition de loi contre l’absinthe.
(Journaux)
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Ah ! mon Dieu ! Vierge sainte !
C’est fini de l’absinthe,
Si ces dames de Reims
S’en mêlent ! Pauvres trognes,
Pauvres diables d’ivrognes,
Horresco referens . *

Ce manifeste, certe,
Contre la muse verte
Part d’un bon sentiment
Si, sous vos doigts de rose,
La prose en est éclose
Toute spontanément.

Mais je vous crois sournoises,
Charmantes Champenoises,
Et je serais surpris
Si vous n’étiez les porte-
Parole, en quelque sorte,
De messieurs vos maris,


Les marchands de champagne.
Car cette erreur les gagne
De croire - mais, en vain,
Ils prêchent pour leur sainte -
Qu’en supprimant l’absinthe,
On boira plus de vin.

Ils battent la campagne,
Vos marchands de champagne.
Si c’est ça leur souci,
Ils se créent des chimères.
Au surplus, mes commères,
Retenez bien ceci :


Le monde se partage
En deux - pas davantage :
Les absinthiers, et puis
Ceux ayant l’horreur sainte
De cette même absinthe,
Tel, moi, de l’eau des puits.

Les premiers, plus tenaces,
Malgré lois et menaces,
Plutôt que s’évader
De leur coupable vice,
Par quelque saint office
Se laisseraient arder.

Cependant, tout arrive.
Et grâce à votre active
Et forte pression,
Il se peut qu’on ne puisse
Dorloter, plus qu’en Suisse,
Sa verte passion.

En serez-vous, mesdames,
Plus tranquilles ? Non, dame !
Car ces drôles de corps
D’absinthiers, et pour cause,
Trouveront autre chose
De plus mauvais encor.


Il est des alcools pires,
Bien autrement vampires, qui leur seront régal.
Quant aux vins de vos vignes,
Quoi qu’ils soient des plus dignes,
Ça leur est bien égal.

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Et, de toute manière,
Jusqu’à leur mort dernière,
Ils sont bien résolus
- J’en jure Dieu le père -
A n’en pas prendre un verre
De champagne de plus.



RAOUL PONCHON
le Journal
30 nov. 1908
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