7 mars 2009

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SYMPHONIE DES FROMAGES
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O doux cotignac de Bacchus,
Fromage, que tu vaux d’écus !
Je veux que ta seule mémoire,
Me provoque à jamais à boire.
SAINT-AMANT



On va me dire que ça pue,
Le fromage. Allons donc, vraiment ?
Tout ça dépend du point de vue,
De l’occasion… du moment.
Moi, j’en mange et point ne m’en cache.
Je serais un vrai veau de vache,
Privé de tout discernement,
Si je n’aimais jusqu’au délire
Le fromage, que sur la lyre
Chanta le bon gros Saint-Amant.

*
* ...*



O fromages de ma patrie,
Et vous de l’étranger aussi,
Accourez ça, la coterie…
Diable ! On vous sent déjà d’ici.
Trop tôt, Livarot, sâle bête…
Mais voici la flore complète,
Si j’en crois mon flair d’artilleur.
Ne bougez plus, que l’on vous goûte.
Allons, experts, on vous écoute ;
Dites-nous quel est le meilleur ?

Oui, mais voilà : chacun en pince
Pour le fromage familier,
Qui se fabrique en sa province,
Et qu’il prise sur un millier.
Ainsi l’habitant de la Brie
Traitera de saloperie
Tel fromage que vous nommiez,
Jurant sur les Saintes Images
Que sur tous les meilleurs fromages
Prévaut celui de Coulommiers.


Le gars normand triomphe avecque
Le Camembert, le Port-Salut,
Le Livarot, le Pont-Lévêque ;
L’Auvergnat jamais ne voulut
-
Tel est son sale caractère -
Démordre de son Saint-Nectaire,
De sa fourme et de son Cantal ;
Le Flamand prend de son Maroilles
A témoin le ciel, les étoiles,
Qui fleure l’ambre et le santal.

Le Dauphiné dit Sassenage ;
Le Poitou répond Chabichou.
Ne leur niez pas leur fromage,
Vous seriez un abouchouchou.
Le Lorrain ne voit sur sa table
Qu’un Géromé de présentable.
Pour un Picard, son Manicamp,
Près duquel tout est faribole,
Va défiant toute hyperbole,
Surtout quand il fiche le camp.


Le Parmesan, en Italie,
J’ai lu ça dans Zola,
Est inattaquable et ne plie
Que devant le Gorgonzola.
La Suisse se montre assez fière
De son grand pleurant de Gruyère ;
Le Stilton avec le Chester
Sont les deux «
cracks » de l’Angleterre ;
L’allemand ne fait pas mystère
De son effroyable Munster.

On voit qu’il y a ballottage.
Et j’en passe, bien entendu.
Mais n’insistons pas davantage,
A quoi bon ? c’est du temps perdu.
Les dénombrer, quelle chimère !
Quand j’aurais la lyre d’Homère,
Je m’arrêterais en chemin ;
Disons que le meilleur fromage,
Tout en rendant à tous hommage,
C’est celui qu’on a sous la main.


RAOUL PONCHON
le Journal
14 décembre 1908

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