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LAPINS
. Au seigneur de Vieuxville.
Noble seigneur de la Vieuxville,
Descendant des preux d’autrefois,
Qui commandez sur une ville,
Et sur des mille prés et bois,
Le hasard heureux d’un voyage,
Pour un laps de deux ou trois mois,
M’a mis dans votre voisinage.
Eh bien ! Écoutez-moi : je vois
Sur votre immense territoire
Courir des lapins tant et tant
Que c’en est vraiment vexatoire,
Pour ne pas dire dégoûtant.
Oui, chose des plus singulières,
Bien faite pour m’éberluer,
Lorsque je passe vos frontières
Je vois votre sol remuer.
Les terriers y sont en tel nombre
Qu’on n’en conçoit pas un de plus,
Et que journellement j’y sombre,
Si bien que j’en suis tout perclus.
A l’aube comme au crépuscule,
Oh ! Ces lapins ! Mon épagneul
Y trouve un plaisir majuscule
Et mon remington part tout seul.
Il m’est arrivé de leur faire
Naturellement plus d’un bleu ;
Si je vous disais le contraire,
Vous ne me croiriez pas, parbleu !
Dam ! Quand un lapin vous menace,
Avouez-le, c’est bien tentant,
Et si vous étiez à ma place
N’en feriez-vous pas tout autant ?
J’essayai du collet, du piège.
Mais vainement, ces cochons-là
Je crois que le ciel les protège :
Jamais un seul n’y renifla.
Puis, vous avez un garde-chasse
Qui n’est pas très encourageant ;
Gardez cet être perspicace,
Il ne vole pas son argent.
Dieu ! Quel bonhomme ambulatoire !
Lorsque je crois l’avoir quitté,
Il est encor là ; c’est à croire
Qu’il a le don d’ubiquité.
C’est pourquoi, seigneur, magnifique,
Vous qui régnez si bravement
Sur cette race prolifique
Au moins dans un cantonnement,
Permettez que, pour ma provende,
De temps en temps je donne un bal
A vos lapins, sans que me pende
Au nez un bon procès-verbal.
Seigneur, songez que je suis père
De ces cinq enfants que voilà,
Et que mon sort n’est pas prospère :
Un lapin par-ci, deux par-là…
Puisque que votre terre en fourmille,
Cela ne vous ruinerait pas,
Et pour ma petite famille
Ça ferait toujours un repas.
Et puis, je vous rendrais service,
De plus, n’en doutez pas, seigneur,
Encore que je sois novice
Dans ce dur métier de veneur.
Car, mon prince, prenez-y garde,
Avant qu’il soit un an ou deux,
Si personne ne les canarde,
Votre sort est bien hasardeux !
Ils dévoreront vos semailles,
Vos prés, vos guérets, vos forêts,
Et vos châteaux et vos ouailles,
Votre garde et vous-même après.
Saint -Cast, 10 septembre.
RAOUL PONCHON
le Journal
13 sept. 1897
Noble seigneur de la Vieuxville,
Descendant des preux d’autrefois,
Qui commandez sur une ville,
Et sur des mille prés et bois,
Le hasard heureux d’un voyage,
Pour un laps de deux ou trois mois,
M’a mis dans votre voisinage.
Eh bien ! Écoutez-moi : je vois
Sur votre immense territoire
Courir des lapins tant et tant
Que c’en est vraiment vexatoire,
Pour ne pas dire dégoûtant.
Oui, chose des plus singulières,
Bien faite pour m’éberluer,
Lorsque je passe vos frontières
Je vois votre sol remuer.
Les terriers y sont en tel nombre
Qu’on n’en conçoit pas un de plus,
Et que journellement j’y sombre,
Si bien que j’en suis tout perclus.
A l’aube comme au crépuscule,
Oh ! Ces lapins ! Mon épagneul
Y trouve un plaisir majuscule
Et mon remington part tout seul.
Il m’est arrivé de leur faire
Naturellement plus d’un bleu ;
Si je vous disais le contraire,
Vous ne me croiriez pas, parbleu !
Dam ! Quand un lapin vous menace,
Avouez-le, c’est bien tentant,
Et si vous étiez à ma place
N’en feriez-vous pas tout autant ?
J’essayai du collet, du piège.
Mais vainement, ces cochons-là
Je crois que le ciel les protège :
Jamais un seul n’y renifla.
Puis, vous avez un garde-chasse
Qui n’est pas très encourageant ;
Gardez cet être perspicace,
Il ne vole pas son argent.
Dieu ! Quel bonhomme ambulatoire !
Lorsque je crois l’avoir quitté,
Il est encor là ; c’est à croire
Qu’il a le don d’ubiquité.
C’est pourquoi, seigneur, magnifique,
Vous qui régnez si bravement
Sur cette race prolifique
Au moins dans un cantonnement,
Permettez que, pour ma provende,
De temps en temps je donne un bal
A vos lapins, sans que me pende
Au nez un bon procès-verbal.
Seigneur, songez que je suis père
De ces cinq enfants que voilà,
Et que mon sort n’est pas prospère :
Un lapin par-ci, deux par-là…
Puisque que votre terre en fourmille,
Cela ne vous ruinerait pas,
Et pour ma petite famille
Ça ferait toujours un repas.
Et puis, je vous rendrais service,
De plus, n’en doutez pas, seigneur,
Encore que je sois novice
Dans ce dur métier de veneur.
Car, mon prince, prenez-y garde,
Avant qu’il soit un an ou deux,
Si personne ne les canarde,
Votre sort est bien hasardeux !
Ils dévoreront vos semailles,
Vos prés, vos guérets, vos forêts,
Et vos châteaux et vos ouailles,
Votre garde et vous-même après.
Saint -Cast, 10 septembre.
RAOUL PONCHON
le Journal
13 sept. 1897
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