24 févr. 2009

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UN AÉROLITHE
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A Odon G. de M.
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J’allais en promenant au sein de la campagne
Avecque la compagne
Qui règne sur mes jours. C’était au mois dernier,
Par un temps printanier


Quand, sans être annoncé, dans un fracas de foudre
Et qui faillit me moudre,
Un dur objet tomba sur le sol, près de moi.
Jugez de mon émoi !

Je me remis pourtant et dis à la petite :
« Ah ! mince de pépite »
Et tandis que la chère appelait sa maman,
Je vis, sur le moment,


Que cet objet était un simple aérolithe,
Mais, voilà l’insolite :
Il me sembla strié de signes biscornus,
Tels que jamais je n’eus


L’occasion d’en voir, et, tracés, voulus, comme
Par la dextre d’un homme.
Non, ça ne pouvait être un effet du hasard,
Il s’y trouvait trop d’art :

« Par le diable cornu ! Cela tient du prodige,
- A ma mignonne, dis-je -
C’est là, n’en doute pas, un rare document
Tombe du firmament.

« Je n’ai pas la prétention de m’y connaître,
Elle est encore à naître
Certes, je ne saurais quoi veut dire ceci,
Mais je sais, près d’ici,

« Un être chez lequel toute science habitée,
Un pieux cénobite
Qui sur d’obscurs papiers travaille jour et nuit,
Il me le dira, lui.

« Il déchiffrera ça beaucoup mieux que personne,
Et, comme qui… badine.
Qui sait si je n’ai pas une fortune en main ?
Tu le sauras demain. »


Je pris donc à mon cou mes jambes, ma pyrite,
Et m’en fus au plus vite
Chez le savant Odon, c’est-à-dire au café,
Où je l’apostrophai :

« O toi, dont le gosier parle toutes les langues
Même les plus exsangues,
Et de qui le cerveau reverdit chaque mois,
Qu’est-ce que ce chinois ? »


Il prit l’aérolithe en ses mains exercées
Mais comme désossées,
Sortit sa forte loupe et s’exclama d’abord :
« -Ah ! par Dieu ! c’est trop fort ;

Sais-tu bien ce que c’est que cette langue absconse ?
- Eh non ! fut ma réponse.
Puisque aussi bien, mon cher, je suis venu te voir
Afin de le savoir.


- Eh bien, c’est une langue entre le concombrique
Et le cornichonnique ;
C’est du cucurbitain : on déride ce jars
Dans la planète Mars.


« Par conséquent ceci nous vient, la chose est nette,
De ladite planète.
Et voici ce que ça veut dire, mot pour mot…
Ah ! quel est le chameau ?…



Et le voilà parti d’un grand éclat de rire.
« - Ce Martien veut dire :
Hommes, il ne faut pas que vous vous y trompiez,
Vous êtes tous des pieds.


Nous vous voyons depuis des milliers d’années,
Pauvres âmes damnées !
Et pour nous dont le rire est le plus fatigué
Votre monde est fort gai. »


RAOUL PONCHON
Le Journal
13 déc. 1897
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