19 févr. 2009

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LE MONSIEUR
qui a horreur des confetti
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On pourrait, n’est-ce pas, croire
- S’il n’est hasardeux de croire
Quoi que ce soit aujourd’hui -
Que le grincheux qui redoute

Les confetti, somme toute,
N’a qu’à s’enfermer chez lui ?


Vous ne le connaissez guère.
Son cerveau n’est pas d’équerre ;
C’est les jours de confetti,
De mardis-gras, bacchanales,
De fêtes nationales,
Qu’on le voit plutôt sorti.

Au moins, cherche-t-il des rues
Désertes ou peu courues
Ou se trouver à l’abri,
Et conspuer à son aise
La vieille gaîté française
Qui pousse son dernier cri !…

Du tout. Il veut qu’on l’attaque
Cet irréductible braque,
Quitte à être estropié,
Recherche la multitude

Et l’endroit où d’habitude
Il ne met jamais le pié.


Ce grincheux en tout ressemble
(Semble-t-il pas ? il me semble)
A ces gais holà-holà
Qui poursuivent de leurs triques
Les journaux pornographiques
Et ne lisent que ceux-là !

Le voilà donc dans la foule,
Bruyante et vivante houle
Plus nombreuse que les blés,
Et de ces papiers moroses
Verts, jaunes, bleus, blancs ou roses,
Ses habits sont tôt criblés.

Il n’admet pas cet outrage,
Il peste et sacre, entre en rage,
Prend à témoin les agents
Dont la consigne est sévère :
Ne rien dire et laisser faire.
Ils ont des jours indulgents.

Ah ! comme la foule est lâche !
Plus notre grincheux se fâche,
Plus il écope : Il est sûr qu’
En ces folâtres occases
Il a beau faire des phrases
Il devient tête de Turc.

Maintenant c’est une averse,
Il fait marcher le commerce,
En somme, ce rigolo,
Encor qu’il le désavoue ;
A cette heure, il se secoue
Comme un chien qui sort de l’eau.


Est-il victime d’un gosse ?
Notre homme devient féroce,
Il est pour lui sans pitié ;
Il lui flanque des mornifles,
Des coups de pied et des gifles,
Et le massacre à moitié.


Est-ce d’une femme ? ah ! Diable
Alors il est effroyable,
Ordurier et banal ;
Il sort un vocabulaire
Fangeux et qu’il me faut taire
Par respect pour le Journal.


Or, il n’est pire supplice,
A la fin, qui ne finisse.
Il est l’heure de rentrer ;
Mais cependant que la foule
De tous les côtés s’écoule
Le grincheux va demeurer.


C’est lui le dernier qui reste.
Il faut encor qu’il proteste
Quand tout le monde est parti ;
Que sur le champ de bataille
Il insulte la canaille
Et blâme les confetti.


Quand, finalement, il rentre
Oh ! qu’en retard ! dans son antre,
Hirsute, sale, affalé,
Naturellement sa femme
Lui fait une scène infâme,
Et le gigot est brûlé.

La nuit, il jouit de rêves
Affreux : il est sur des grèves…
Le sable est de confetti…
Ces confetti se font pieuvres,
Se font crabes et couleuvres
Qui le mangent non rôti.
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RAOUL PONCHON
le Journal

08 mars 1897
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