6 févr. 2009

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DROIT DE GRÂCE
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J’ai vu ces petites reines
Se prodiguer dans Paris,
Magnifiquement sereines
Sur leurs carrosses fleuris.

Elles m’ont paru gentilles
Et pleines de majesté,
Et pas plus de… pacotille,
Mon Dieu ! Qu’une infinité

D’autres de plus d’importance,
Souveraines pour de bon
Des familles de Bragance,
D’Orléans ou de Bourbon.

Reines des marchés, des Halles,
Toutes avaient fort grand air
Sous les brises boréales
De ce vieux printemps d’hiver.


Je dois dire que la Reine
Des reines marquait encor
Mieux, avec sa robe à traîne
Qui n’était que pourpre et qu’or.

Tandis qu’elle - de son trône -
Répandait sur ses sujets
Ses baisers comme une aumône,
Amèrement je songeais

A son lendemain morose,
A son règne tôt vécu.
De même je plains la rose
Quand je songe au gratte-cu.

Ne pourrait-on pas, pensais-je,
Accorder à cette enfant
Quelque rare privilège
Royal, moins décevant

Que son rêve de carême,
Qui lui soit un souvenir
Inoubliable et suprême,
Toute sa vie à venir ?


Telle est mon humble requête :
Je voudrais qu’on stipulât
Le droit de grâce pour cette
Reine d’un jour, - ce jour-là.

Je ne demande pas qu’elle
Puisse vider d’un seul coup
Les prisons de leur séquelle…
Ce serait un peu beaucoup.


C’est un bandit pitoyable
Ou tout autre sale oiseau
Se réclamant soit du diable,
Soit du docteur Lombroso,

Qu’elle gracierait. Le geste
Serait fort beau, m’est avis.
Vous en verriez, sans conteste,
Les
Parisiens ravis.

*
* ...*



Plus tard, une fois grand-mère,
Pleine de jours triomphants
- Mon règne fut éphémère,
Dirait-elle à ses enfants.

« Oui, mais, en définitive,
Un jour j’ai joui de la
Plus douce prérogative
Des rois ! Retenez cela.

« Un prisonnier de calibre
Se mourait dans son décor…
Quand je lui dis : « Tu es libre ! »
Il est loin, s’il court encor. »


RAOUL PONCHON
le Journal
30 mars 1908

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