27 janv. 2009

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Eloge de Gérôme
par
CAROLUS DURAN

« Messieurs, en m’appelant à prendre sous ce dôme
La place qu’occupait notre défunt Gérôme, *
C’est me faire un honneur dont je sens tout le prix,
Encor que je n’en sois pas autrement surpris?
Serait-ce pas vous faire une injure gratuite,
En effet de hâbler sur mon peu de mérite ?
Ne serait-ce pas dire aussi, qu’en me nommant
Vous ne sûtes agir avec discernement ?…
Quoiqu’il en soit, Gérôme est mort et le doit être.
Vous attendez de moi * l’éloge de ce maître ?…
L
e voici : ..............................
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..............Ç’était une erreur de ces temps-ci,
Je puis bien l’avouer puisqu’il n’est plus ici.
On reste stupéfait que ce sombre fumiste
Ait passé si longtemps pour un très grand artiste.
Artiste ! il ne l’était pas plus que mon soulier.
C’avait été jadis l’espoir des ateliers.
Il avait en très peu de temps conquis ses grades,
Laissant derrière lui bien loin ses camarades,
Disait-il - or, c’est lui qui pendant sept ans,
Resta le prix de Rome absurde et débutant.
Il haïssait le beau jusqu’à la frénésie
Il voyagea beaucoup, en Egypte, en Asie
Sans jamais rien comprendre à rien, sans même voir,
Seul le vilain avait le don de l’émouvoir.


Il était avec ça d’une arrogance extrême,
Et de tous les humains n’admettait que lui-même.
Ni peintre, ni sculpteur, d’hier ou d’aujourd'hui
Ne dérida jamais sa haine ou son ennui.
Il vomissait Rembrandt, rotait sur Michel-Ange ;
Rubens lui paraissait une sombre vidange,
Pour cet inaltérable et glorieux pompier
Corot n’était qu’un cul et Vélasquez qu’un pied.
Et le plus curieux c’est qu’en son inculture,
Il se piquait et de peinture et de sculpture ;
Voire même parfois il faisait un hideux
Et dégoutatif tripatouillage des deux.
Mais vous les connaissez ses navets polychromes ;
Est-il rien de plus laid dans les Quatre-Royaumes ?…
Il est pourtant des gens qui trouvent cela bien.
Mais si c’est bien cela, que fais-je alors moi ? Rien ?…
Sa sculpture est mal peinte, et quant à sa peinture,
Qu’est-ce autre chose qu’un vrai bouillon de culture ?…


Je vous demande un peu, Messieurs, est-il permis
De tenir pour de l’art cet affreux compromis
Entre le marbre et l’huile ? Ah ! Seigneur ! Est-ce atroce !
Peindre avec l’ébauchoir ! sculpter avec la brosse !
Bitumer le Carrare et tailler l’outremer !


N’est-ce point bien le cas de s’écrier : ah ! mer…?
C’est pourtant là, mes chers collègues, l’être hirsute
Que vous aviez reçu dans la Grande Institute :
Mais il est bien certain aussi, qu’en me nommant,
Vous l’avez remplacé substantiellement. »

Pour copie conforme :
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
19 juin 1904

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