13 janv. 2009

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LE NAIN ET LE GEANT
CONTE

Tout le monde, à coup sûr, connaît
Delphin, cet homuncule
Qui chante, tel un sansonnet,
D’une voix acidule.

Dans les montmartrois cabarets,
Tous les soirs, il susurre
De petits couplets guillerets
Faits pour lui sur mesure.

*
* ...*


Voilà qu’un bourgeois, l’autre jour,
Débarquait de Pontoise,
Afin de faire un court séjour
En cité montmartroise.

Le bonhomme n’avait qu’un but :
Ouïr de ses oreilles
Cet artiste de Lilliput,
Dont on disait merveilles.

Il fréquenta tous les « guignols »,
Sans perdre une minute ;
Entendit les bons rossignols
Qui chantent sur la Butte
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Il s’en divertit, c’est bien sûr.
Mais, Toute une semaine,
Il ne put mettre la main sur
Le petit phénomène ;


N’arrivant jamais au bureau
Que quand, par malechance,
Delphin, après son « numéro »,
Brillait par son absence.

Comme l’autre soir, il rêvait
Tout haut de son déboire,
Son voisin vit bien qu’il avait
Affaire à quelque poire :

- «Vous voulez voir monsieur Delphin »
Dit-il, c’est bien facile.
Allez onze bis rue… Poussin,
C’est là son domicile.


« Onze bis, vous m’entendez bien,
Au second, porte en face.
Ce Delphin est brave. Il n’est rien
Que pour vous il ne fasse.


« Vous venez de ma part… C’est tout.
Rentrez à votre auberge
Et vous irez demain. Surtout,
Evitez le concierge ! » -

*
*... *



Le lendemain, ce fut tôt fait.
Sans que plus il hésite,
Notre homme sonnait en effet
A l’adresse susdite.

Un grand gaillard lui vint ouvrir,
Dès son coup de sonnette.
Il fut long à le parcourir,
Et vous voyez sa tête !

Car, ce grand gaillard était le
Bon poète Delorme,
Qui du front touche le ciel bleu,
Tant sa taille est énorme.

Il finit par lui dire enfin,
D’une voix indécise :
- « Je venais pour… monsieur Delphin…
Mais je vois ma méprise… » -

- « Du tout. Monsieur Delphin, c’est moi,
Dit l’excellent poète,
Je ne comprends pas votre émoi.
Quelle est votre requête ? » -


- « C’est que… voilà… l’on m’avait dit,
Je m’étais laissé dire,
Que Delphin était tout petit…
Pardon ! Je me retire » -

- « Oui, quand je me montre en public,
C’est ça qui déconcerte,
Je ne me viens qu’à l’ombilic.
Je me rabougris, certe !


« Mais une fois rentré chez moi,
Qu’il ne vous en déplaise,
J’ai de bonnes raisons, ma foi,
Pour me mettre à mon aise ! » -


RAOUL PONCHON

Le Journal
09 oct. 1909

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Delphin était un nain aux talents de comédien qui se fit une belle place dans les cabarets (surtout à Montmartre) ; on le vit plus tard au cinéma incarner le rôle d'un principal de collège dans le film de Jean Vigo "Zéro de Conduite" (1933) - photos ci-dessus tirées du film -.
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