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.Boniment au « Courrier Français »
lu au banquet du 31 décembre
.lu au banquet du 31 décembre
Je rencontrai promenant ma névrose
Roques, hier, lequel me dit : Peut-on
Compter sur vous pour dire quelque chose
A ce banquet, demain ?… Mais, comment donc ?
Ce n’est pas le zèle qui m’égare,
Je parlerai parce que j’ai promis ;
Pendant ce temps, fumez un bon cigare,
Sans m’écouter - cela vous est permis.
Garde ta voix, m’a toujours dit mon père,
Ne l’use pas à faire des discours,
Tu seras bien heureux un jour, j’espère
De la trouver pour chanter dans les cours.
Mais laissons là cette phrase profonde,
Courons au but, tel un vif lévrier :
Figurez-vous qu’ainsi que tout le monde
Je feuilletai l’autre hier, le Courrier,
Et je n’y vis avec inquiétude
Que trois dessins dedans une vaste eau…
Trois sphinx perdus dans une vastitude…
Rari nantes in gurgite vasto. *
Je crus rêver ou devenir loufoque,
Je me dis : Tiens, les dessins sont sortis ;
Je m’en plaignis amèrement à Roque ;
Quoi ! trois dessins pour vos fiers appétits !
Ah ! me dit-il, ce n’est pas de ma faute ;
Quand je réclame aux bougres un dessin,
Il semble que leur prends une côte.
Un peu plus, ils crieraient : A l’assassin !
A ce propos qui tout me déconcerte,
D’étonnement je me mis à hennir ;
Sans préjuger de la vérité, certe,
C’est à cela que je veux en venir.
Un illustré c’est un yachtsman en somme,
Où les acteurs sont des dessinateurs ;
Or le Courrier sans dessins c’est donc comme
Un Odéon où manquent les acteurs.
C’est la débâcle et rien n’y remédie,
Tant il est vrai que c’est vous seuls, messieurs
Qui nous devez donner la comédie.
N’êtes-vous pas pour le plaisir des yeux ?
Pour l’écrivain, il est en quelque sorte,
Si vous voulez, le paillasse chargé
Du boniment que l’on fait à la porte.
Moi, c’est de lui l’opinion que j’ai.
Dans le Courrier, il languit solitaire
Si les dessins n’accourent à sa voix.
A proprement parler, c’est un cautère
Sur une jambe horriblement de bois.
Qui donc le lit ? Ça n’est pas ma maîtresse,
Dans tous les cas : voilà cinq ans durant
Qu’elle me nomme Heidbrinck avec tendresse
Et qu’elle mouille en parlant de Legrand.
Pauvres rimeurs martyrs de l’anapeste,
Dans ce journal nous vous cédons le pas,
Et c’est justice. Après vous s’il en reste,
Et le public, parbleu, ne s’en plaint pas.
De même un livre aujourd’hui n’a de lustre
Et ne rencontre, hélas ! des amateurs
Que seulement si l’un de vous l’illustre ;
Plaignez-vous donc, tas de dessinateurs.
Est-ce pour nous que les belles minettes
Ont des béguins ? Nous pouvons de ce pas
Ravir les bois avec nos clarinettes,
Je vous promets qu’elles n’écoutent pas.
Elles n’ont d’yeux que pour vous, les charmantes,
C’est pour vous seuls les amoureux combats ;
Et nos façons leurs semblent assommantes.
C’est pour vous seuls qu’elles gardent leurs bas.
Quand vous seriez aussi laids que des singes,
C’est pour vous seuls artistes, leurs poulots,
Que les beautés de l’écume des linges
Vont émergeant, - telle Vénus des flots.
Hé, mais cela ne suffit pas pour vivre,
M’allez-vous dire… et pourquoi pas, messieurs ?
Pour quant à moi, j’engraisse d’un livre
Rien qu’à l’aspect d’un mollet gracieux.
Aimez-la donc, puisqu’elle vous adore,
La femme exquise ! et voilà mon refrain :
Le femme est tout et même plus encore.
Je ne dis pas cela pour Lorrain.
Dessinez-la sur toutes les coutures,
Dans sa splendide et chaste nudité.
Faites comprendre aux gazettes futures
Que vous aussi, saviez la vérité.
Faites du nu. Qui donc s’en formalise ?
C’est bien plus beau que tout ce qu’on rêva.
Et comme a dit un père de l’Eglise
- Lequel, Seigneur ? - Quand le nu va, tout va.
Faites jaillir le sein de chaque page
La vérité chère au Courrier Français.
Et n’est-ce pas devant l’Aréopage
Que Phryné nue eut son plus grand succès ?
Rappelez-vous, artistes que vous êtes,
Qu’il fut un temps, et ce temps n’est pas loin,
Où pour fourrer nos suaves gazettes
Vous nous laissiez à peine un petit coin.
Ah ! si j’avais quelque voix au chapitre,
Je vous dirais ce qui résume tout :
Foutez des dessins, même sur le titre,
Car il en faut partout, partout, partout.
Vous avez eu, dans des temps plus prospères,
Maille à partir avec les magistrats.
Vous montriez alors, mes petits pères,
Qu’ils n’avaient point affaire à des ingrats.
En ce temps-là vous donniez tablature
A Ferrouillat ; c’était le vrai bon temps?
Je jurerais que la magistrature
En rajeunit du coup de dix printemps.
Ne criez pas à ma misanthropie,
Surtout, messieurs, Ne soyez point fâchés ;
Si l’on poursuit maintenant la copie,
C’est à coup sûr que vous vous relâchez.
Je me permets de vous voter ce blâme ;
Qu’en pensez-vous ? Quels sont vos noirs desseins ?
J’aime toujours ce Courrier, sur mon âme,
Mais il manque un peu trop de dessins.
Je vous promets que je me désabonne
Si cela dure. Et que dorénavant
J’achèterai L’Echo de la Sorbonne.
Peut-être ainsi deviendrai-je savant.
Ce jeune Heindbrinck, enfant du moyen-âge,
Dans le Courrier on ne voyait que lui,
Jadis. Voilà qu’il ne peut à son âge
Tirer un coup de crayon aujourd’hui.
Que fait-il donc de tout son temps ? Pardine
Il ne s’occupe en haut de son donjon
Qu’à contempler ses mollets de sardine,
Sans oublier ses fesses de goujon.
Et ce Lunel vraiment interminable
Je ne veux pas lui faire la leçon,
Mais le Courrier prend tôt un air minable
S’il n’y met pas un cul de sa façon.
Ne voit-on pas tressaillir les esgourdes
Du gros Sarcey, quand notre ami Legrand
Met son cachet sur des tétons en gourdes ?
Il n’en fait plus que deux cents fois par an.
Tous vous avez plus ou moins du génie,
N’est-il pas vrai ? Je voudrais bien savoir
Alors pourquoi cette peine infinie
A le laisser aussi rarement voir.
Qu’autour de nous l’on n’entende plus dire :
Ah ! le Courrier ! non, non, ça n’est plus ça.
Ont-ils cassé la corde de leur lyre ?
Sont-ils donc tous morts de l'influenza ?
Sachez ceci, messieurs : noblesse oblige.
Nous avons eu chez nous de vrais vaillants.
Ils sont partis, faut-il qu’on s’en afflige ?
Certes, c’étaient de fiers et vrais talents.
Ils sont partis, ma foi, c’est leur affaire.
Rien n’est perdu puisque vous êtes-là.
Remplacez-les, telle est la scène à faire,
Et ça n’est pas plus malin que cela.
Quant au Courrier, qui va de par le monde,
Je ne crains pas qu’il lâche l’étrier,
Tant qu’une femme aura la jambe ronde.
Buvons à Roque et buvons au Courrier.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
05 janv. 1890
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