7 févr. 2011

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Tous les matins, à mon réveil,
Je regarde par la fenêtre
Si je ne vois pas apparaître
Les quatre chevaux du Soleil :

Soit Phlégon, dit Cœur de Salpêtre ;
Pyrois, le Petit Brûlé ;
Eoüs, les Pieds-Nickelés ;
Aëton, l’Aigle. Ou vont-ils paître ?

Je ne les puis pas voir. Aussi
Je me dépense en mille et une
Suppositions de fortune,
Dont quelques unes que voici :

Sont-ils donc morts ? Je me demande.
Alors, que leur donnent les dieux
En quelque pâtis radieux
Une inépuisable provende !

S’ils ne sont pas morts, ils sont mûrs
Pour le repos ? Ces vieux solides
Ont bien gagné leurs invalides.
Dîtes, cavaliers de Saumur ?

Tout de même, il est bien étrange
Qu’Apollon, leur divin patron,
N’ait pas au moins un quarteron
De quelques pur sang de rechange

Ivres d’espace, fous d’azur.
Dans une pareille écurie,
Quelle maigre cavalerie,
Et pour un service aussi dur !


*
*.. *


Peut-être que voulant encore…
Protester contre Chantecler,
Qui prétend de son chant si clair
Les faire lever dès l’aurore,

Ne sortent-ils plus que la nuit,
Lorsque les poules sont juchées,
Quand les faisanes sont couchées,
Pour opérer leur long-circuit ?…

Mais cela n’est guère probable.
Comme dit l’autre, on le saurait.
Alors quoi ! Dame ! Il se pourrait
Que leur maître fut seul coupable.

Cette idée encor me séduit :
Il a mangé son attelage,
Devenu qu’il est hippophage,
Selon la mode d’aujourd‘hui ?…


*
* ..*


Mais non. Tout ça, c’est des bêtises.
C’est probablement qu’il est las
D’éclairer notre monde, hélas !
Et nos crimes et nos sottises ?…


Il nous abandonne aux hivers.
Et, pour le moment, il dirige
Son infatigable quadrige
Autour de quelque autre univers ?…

A moins que, trouvant ridcule
Son char et plus que démodé,
Il n’ait tout à l’heure adopté
Un plus moderne véhicule ?…

Comme il n’est pas sans avoir vu
Déjà plus d’un aéroplane
Bondir sur la mer océane,
Il s’est donc d’un « oiseau » pourvu ;

Et sans doute qu’il se prépare
Au raid international
Organisé par le Journal ?
Messieurs les aviateurs, gare !


RAOUL PONCHON
le Journal
29 août 1910
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