28 déc. 2008

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Le grand M'as-tu vu
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Constant Coquelin, dit Coquelin aîné *

- « Oui, mossieu, vous pouvez m’en croire,
Cinq mois de triomphe, de gloire,
De délires, d’apothéoses,
Cinq mois de lauriers et de roses
Et de croix de toutes couleurs
Voyez plutôt sur ma poitrine
- On dirait un bouquet de fleurs -
Et puis là dans cette vitrine…
Voilà, ce me semble, de quoi
Troubler le cerveau le plus rude
Quant à moi, dont c’est l’habitude
De dominer la multitude,
Je n’éprouvai qu’un peu d’émoi.
………………………………..


Vous vous rappelez sans nul doute
Le jour que je me mis en route,
Et que je débutai d’abord
Par les grandes villes du Nord
Où j’allai porter la ma lumière.
A Bruxelle eut lieu ma première
Représentation. Le Roi
Revint de Nice exprès pour moi.
Je le vois encor dans ma loge
Pendant que j’endossai ma toge,
Qui me passe son grand cordon
De l’ordre du Chou de Bruxelle
Tenez… celui-ci… sur ma bretelle.


De là, j’atteignis Amsterdam,
Où l’on me fit un grand tam-tam.
Le Roi, je ne le vis qu’à peine
D’autant mieux que c’est une reine
A qui tout de suite je plus ;
Elle a dans les dix ans, pas plus
Elle est assez mignote et gente
Avec çà fort intelligente,
Car elle me dit tout à trac :
Vous êtes le grand Frédéric.
Puis elle m’offrit en hommage
Sa croix de l’Ordre du Fromage…
Tenez mon ami, la voici
Qui marche toute seule ici…
Mais hélas ! La petite reine
Ne put me voir, en sa déveine,
Car à l’heure de mon rideau
C’était celle de son dodo.
Je n’ai pas besoin de vous dire
Que mon succès tint du délire.
Mais, passons…


Je décris un arc
Et je gagne le Danemark
J’y fus accueilli par des palmes
Des arcs triomphaux et des psalmes.
Ce vieux birbe de Christian
A mon débarqué, souriant
Vint aussitôt à ma rencontre
Il me fit cadeau de sa montre
En même temps m’offrit un grog,
Et son cordon de Danebrog,
Voyez, ici… dans ma poitrine
Je veux dire dans ma vitrine.
Je ne jouai que quatre jours
Dans ce Danemark sympathique,
On eût voulu m’y voir toujours.
Puis je traversai la Baltique
Et me rendis à Petersbourg
Evitant les pays Borusses
Le Mecklembourg et l’Oldenbourg
Les Autriches comme les Prusses
Ah ! les Russes, mon cher, les Russes !…
Figurez-vous que tout d’abord
A peine descendu de bord
De belles filles toutes nues
Au-devant de moi sont venues
M’apporter le pain et le sel,
Les clefs de la ville et le tel
Et me chanter la Marseillaise,
Qui remplit on cœur français d’aise.
Pendant quinze jours de succès
On m’appela le grand Français.



Le Tsar vint me rendre visite
Pendant ces quinze jours de suite
Oui, chaque matin je le vis,
Qui venait chercher mon avis
Sur ceci, cela… la Triplice…
La neutralité de la Suisse…
Puis nos fîmes ensemble ment
Un projet de désarmement
Vingt bonnes pages d’écriture
Où j’apposai ma signature.
Ensuite il me nomma boyard
Et me décora du Caviar…
Là, sur mon gilet de flanelle.
C’est le Caviar ça, oui c’est elle.
Et puis où donc que j’ai été
Après le Tsar quitté ?…
Ah ! Je traversai l’Illyrie,
La Serbie et la Roumanie
La Moldavie et Valachie
Et j’allais jouer en Turquie.
Dès qu’il me vit, Abdul-Hamid
Me dit : te voilà cher amid,
Viens chez moi je te présente
A mes dix-sept mille soixante
Femmes. J’y fus. Oui, mossieu, oui,
Et même il m’y laissa la nuit
Avec ses femmes… Quel déduit !…
Maintenant je n’ai qu’une crainte
C’est que chacune soit enceinte…

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Enfin il me fit l’amitié
De me nommer du Medjidié
Et du Tararaboumdié… »



RAOUL PONCHON
le Courrier français
07 avril 1894
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