30 déc. 2008

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Le Parcours du rêve au souvenir
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J’ai lu ces quatre cent dix pages,
O Montesquiou-Ferenzac !
Qui nous valurent des tapages.
Elles ne sont pas dans un sac.

Jamais je ne vis plus gros livre
Chez les Fasquelle et Charpentier ;
Il doit bien peser une livre :
Vraiment, tu gâtes le métier.

Cet ample produit de ta lyre,
Vois-tu, je lui reprocherai
D’être très fatiguant à lire,
N’étant pas assez aéré.

Ce tiers livre, mon gentilhomme,
De tes poèmes terminaux
Me fait l’effet d’être noir comme
Le double-six aux dominos.

Oh ! qu’il est noir ! quelle mer d’encre !
Où ma boussole et mon sextant
Pour me guider ? où jeter l’ancre
Pour me reposer un instant ?…

Mais je ne veux aller plus outre.
Ce début est un faux départ
Et ne redoute pas - non, foutre -
Quelque abatage de ma part.


Non, cher amateur, au contraire
Ton livre m’amuse et me plait,
D’où j’ai pu, sans fatigue, extraire
Plus d’un délicieux couplet.

Et je laisse aux savants esthètes
Le soin de passer au tamis
Tes vocables, les épithètes ;
Ce jeu-là ne m’est pas permis.

Il n’est pas non plus nécessaire.
Et si tu te fis devoir
D’être avec toi-même sincère,
C’est tout ce que je veux savoir.

*... *


Ton livre est la forêt hirsute
Où pour te frayer un sentier
Il faut que la hache exécute
L’herbe encombrante et l’arbre altier.

Des lianes et des lambrusques
Y font d’incroyables fouillis,
Parfois aussi des lueurs brusques
Illuminent ces noirs taillis ;

Ce sont de rares orchidées
Aux gestes du tout convenus,
Et qu’on dirait être brodées
Par quelque fée aux doigts menus.

* ...*


Anaectochibus,
Cattleya, Phajus,
Chysis, Physurus
Masdevillus,
Maxillaria
Barlingtonia,
Trichopillia,
Quel olibrius,
Quel crétin en us
Vous estampilla
De ce latin-là ?
Saccolabium,
Zygopelatum,
Grammatophyllum,
Odondoglossum..
Quel est l’opossum,
Le savant en um
Qui trouva bonum
Ces noms de pensum .

* ...*
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Ainsi donc, si j’ai su te lire,
Poète ironique et charmant,
Tu voulus rire sur ta lyre
Des déceptions d’un moment.

Tes croquis légers et rapides
Sont comme des instantanés
Où quelquefois les plus limpides
Gestes paraissent bistournés.

Tu te plains - mais à qui la faute ?
Il te fallait donc rester coi -
D’avoir subi les tables d’hôte,
Les octrois sans savoir pourquoi.

Tout se singule, un rien te choque :
Un monsieur qui rit de travers…
Un œuf qui se dit à la coque
Quand il est dur… un mauvais vers…

La pire chose qui t’opprime
C’est les idiomes crochus
De ceux-là qui narguent la rime,
Les Gaudissards, les Barbanchus.

Leurs voix grincent comme des tringles
A tes oreilles, et te font
Autant de piqûres d ‘ épingles
Et leur sottise le confond.

Toi, qui féru d’Argonaute,
Rêvais de quelque toison d’or
Tu la trouves dans ton potage
Sous l’aspect d’un cheveu qui dort.

Artiste épris de la nuance,
Tu n’aperçois que tons criards,
Et voilà ton impatience
Se perdre en mètres babillards.


Tu es comme une sensitive
Irascible, la moindre erreur
De la Nature en toi motive
Un déchaînement d’empereur.

En somme, en te mettant en route
Que cherchais-tu ? Quoi tu voulais ?
Balader ton rêve sans doute ?
Mais tu comptais sans les Anglais,

Les Anglais qui pleuvent à verse
Aussi bien partout comme ici,
Surs lesquels ta verve s’exerce
Impitoyable, Dieu merci !

Pour conspuer dans cette foire
Qui te fait sortir de tes gonds,
Tu veux que ta Muse ait la foire,
Que tes rythmes soient dévergonds.

Que ton vers bouffonnant s’emballe
Au hasard des vocables fous,
Que tes rimes soient des cymbales.
En tant qu’amateur, tu t’en fous.

Puis, quittant les pays maussades
Dont ton désir présuma trop,
Après ces bizarres foucades
Tu redeviens calme, au galop.

Car sur un Mont fréquenté guère
Où tu grimpes sans défaillir,
La fleur défendue au vulgaire
Nul que toi ne la peut cueillir.

Car tu sais au ciel une étoile
Scintillant d’un lustre éternel
Qui peut-être ne se dévoile
Jamais au professionnel.

*... *

J’ai lu jusqu’au bout ton ouvrage
Qui va du rêve au souvenir ;
J’en aime le gai babillage,
Le laisser-aller-et-venir.

Je te suivis en Armorique
Où ton caprice voyagea ;
Mon effort n’eut rien d’homérique
D’autant que j’y étais déjà.

* ...*


Que de dolmens !
Que de menhirs !
Où gentlemen
Et sportswomen
Viennent hennir !
De défunts druides !
De landes vides !
Que de toilettes !
De casinos !
De gigolettes !
De gigolos !
De trous pas chers !
Beaucoup trop chers !


* ...*

Laissant l’armoricaine lande
Avec toi je m’en fus cueillir
Des pommes de terre en Hollande
Qui ne voulurent pas bouillir.

De là mon désespoir immense.
Rêve chu ! Fichu souvenir !
Si c’est ainsi que ça commence,
Comment cela va-t-il finir ?

Hélas ! Comme l’ennui vous pompe
En ces Harlem, ces Amsterdam
Avec lesquels, ou je me trompe,
Je suis brouillé depuis Wagram.

La Hollandaise insignifie,
Et que dire du Hollandais
Dont le sol mou se liquéfie ?
Sinon qu’il est Néerlandais.

D’une main il fume sa pipe,
De l’autre il boit ; et quand il sort
C’est pour astiquer sa tulipe
Ou promener son hareng saur.

Et dire que l’on vit éclore
Jadis, en ce pays suspect,
Cette mystérieuse flore
De Ramberandts, tout comme au Pecq !

* ...*


Si tu veux, allons en Suisse .
Montons sur deux palefrois.
Prends ta jambe, moi, ma cuisse,
Nous ne craignons pas le froid.

Suisse, te voilà ! Que n’ai-je
En te voyant quelque émoi !
Ne te couvre pas de neige,
De grâce, si c’est pour moi.

O pays peu profitable
Où le pâle voyageur,
Surtout quand il sort de table,
Ne peut pas rire en largeur !

Ce n’est que pics, ce n’est qu’alpes.
A nous nos bons alpenstocks !
Où diable poser nos palpes ?
Ce n’est que pics et que rocs.

Avec ça que l’on y glisse
Sur des couennes de cochon
Et sur des peaux de saucisse
Qu’y dut laisser Perrichon.

Aimes-tu le rang des vaches ?
Il faut demander aux bœufs.
Désires-tu des ganaches,
Des crétins ou des gibbeux ?

Préfères-tu des Anglaises ?
On en trouve à chaque pas,
Sur les plus hautes cimaises
Comme celles d’en bas.

Veux-tu de mauvais cigares ?
Voici de petits Vevey ;
Tes rêves les plus bulgares
De pires n’en ont rêvé.

Va cueillir des gentianes
Si tu veux, sur les sommets,
Ou d’autres rimes en
tianes,
Pour moi je n’irai jamais ;

Moi, je vais boire à l’auberge,
Je paierai l’hôte, ma foi,
De mon sourire de vierge,
C’est tout ce que j’ai sur moi.

* ...*


Que de bruyères !
Que de gruyères !
Que de crétins !
De Philistins !
Sacré malin !
Que de chalets !
Que de veulets !
De cul-de-sac !
Que de baudets !
Que de bidets
Qui sont des lacs.
Que de chamois
Payés au mois
Pour les artistes,
Pour les touristes !
Que de Nemrods
Que d’Édouard Rods !
Oh ! triste, triste !

* ...*

Mais n’allons-nous jamais quitter
Cette veule Helvétie ?
Autant tout de suite habiter
Le nez de Clarétie.

Filons à Venise tu veux ?
Il parait qu’elle est belle
Et que, le soir, de mille feux
Mon palais étincelle.

On dit que les femmes là-bas
Ça n’est pas cher, la livre ;
Il faut y aller de ce pas,
C’est là qu’il nous faut vivre.

Il parait qu’on y boit, mon bon,
En des coupes fragiles
Comme des bulles de savon
De petits vins agiles.

C’est très joli, pour une fois…
Mais c’est comme l’histoire
De l’homme à la tête de bois,
Faut le voir pour le croire.

* ...*


Dans Venise la rouge
Pas un fiacre ne bouge,
Pas un cocher sur l’eau,
La peau, la peau.

Rien que des barcarolles
Et rien que des gondoles,
Rien que des gondoliers,
Des hurlubiers.

Rien que des palais de marbre,
Le moindre petit arbre
Serait plus rigolo,
Ferait mon blot.

Qui donc ainsi les coupe ?
C’est Riquet à la Houppe.
L’écho répond au loin :
Sagoin, Sagoin.

Les jeunes Unes-telles
Comment s’arrangent-elles
Pour faire le trottoir
Quand vient le soir ?

Car le trottoir - j’y pense -
Brille par son absence ;
En revanche, les dos…
Que d’eau, que d’eau !

*... *


Hélas !
Babylas !
Que de jockeys !
De pickpockets !
De reporters !
D’ales, porters !
De sleeping-cars !
Et d’horse-gards !
De bars et d’inns,
Brandys et gins !
Boys, cabs, tennis,
De parks, de miss !
Que de Rothschild
Et d’Oscar Wild !
De Johns, de Toms
Et de Bottons
Que de Swinburnes
Et que de Burnes !
De snobs, de spleen !
God save the Queen !

* ...*

Si nous passions en Algérie ?
C’est justement notre chemin,
Elle est la seconde patrie.
C’est ça, n’attendons à demain.

* ...*


Alger ! Alger !
O blanc-manger !
Tu n’offres guère
Que d’la moukère,
Et de l’arbi,
Et du gourbi,
De l’espagnol,
Du romagnol,
Du Mustapha
Et de l’alfa.
Des juifs,
Des suifs,
De l’oasis
Pour les chameaux
Qui n’ont pas trop
D’un litre d’eau
A six.
Ça n’est pas encor le Pérou.
Il faut partir, oui mais, pour où ?…

*... *


On t’a donc reproché ton livre
D’artiste et de poète altier,
Parce que tu as de quoi vivre
Et que tu n’es pas du métier.

Tu as, paraît-il, de quoi vivre.
Eh bien, vis jusqu’à ton trépas,
Et s’il te plait de faire un livre
Pourquoi ne le ferais-tu pas ?

Tu n’es pas du métier ? Pardine,
Je t’en félicite, mon vieux,
Tu as, malgré qu’on te jardine
Bien des chances pour faire mieux.

Que t’importe celui qui crie
Et qui te renvoie à tes sports ?
N’as-tu pas dans ton écurie
Pégase, à qui tu mets un mors ?

Que saura des fleurs que tu cueilles
Sarcey, ce professionnel
Qui va conchant trois cents feuilles ?
Jamais rien, fût-il éternel.

Le jeu des Rimes et des Rythmes
N’étant pour ce navrant paquet
Qu’une table de logarithmes
Qui ne s’éclaire à nul quinquet.


De ce militant imbécile
Vas-tu potasser le métier ?
Non, ce serait trop difficile,
Autant te faire ferblantier.

Et puisque telle est ton envie
De rêver sur les purs sommets,
Reste amateur toute ta vie,
Ne professionne jamais.
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RAOUL PONCHON
le Courrier français
14 juin 1895

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