28 nov. 2008

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PERRUQUES de COULEUR
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Les cheveux sont bleus, les cheveux sont roses,
Les blonds et les bruns, les roux, les châtains,
Il faut l’avouer, étaient bien moroses,
Et juraient avec nos temps byzantins.

Les cheveux sont verts, les cheveux sont mauves
Aussi quelquefois, et c’est bien leur tour,
Des esprits chagrins ou des messieurs chauves,
Seuls, vont réclamant, fermés à l’humour.

Moi, je les admets, encore que chauve,
Et j’adopterais même, s’il vous plait,
Un cheveu quelconque aussi bien mauve ;
Mais on n’en veut pas pour le sexe laid.

Les cheveux sont bleus, rouges, écarlates,
Pourpres, violets ou couleur du temps.
C’est tout l’arc-en-ciel qui fleurit les nattes,
Et c’est merveilleux. Vive le Printemps.

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* ...*



Il est évident que toute élégante
Les assortira, selon les saisons,
Au costume bref dont elle se gante…
Vous voyez d’ici les combinaisons.

Elle coiffera pour une kermesse
Sa perruque verte, en quelque façon,
Sa perruque mauve allant à la messe,
Et celle d’azur, au cours de Bergson.


Mais tous ces cheveux, où les prendra-t-elle
Pour en relever son gentil minois ?
Il en faut beaucoup. Belle bagatelle !
Ne savez-vous pas qu’un cheveu chinois



Peut facilement se couper en quatre,
Et l’on s’en procure à des prix très doux.
La question n’est donc plus à débattre.
Ça fait bien des perruques, savez-vous…

Sur la planche ? Moi, j’aime cette mode,
Folâtre à coup sûr, loin d’y répugner,
Pleine de gaîté, sinon très commode.
La morale aussi ne peut qu’y gagner.

En effet, disons que la loi du monde
C’est que tout mari, croyez-vous pas ça ?
Qui fuit son foyer, où sa femme est blonde,
En veut une brune, ou vice-versa.

Donc, tout homme étant un turc incurable,
Au lieu de chercher un autre dortoir,
Trouvera chez lui la femme innombrable,
Verte le matin et rose le soir…


Le poète aussi, moins crépusculaire
En fait de cheveux, et moins radoteur,
Renouvellera son vocabulaire,
Afin, comme on dit, d’être à la hauteur.

Et, que si sa Muse est un peu féconde,
Il devra trouver de nombreux refrains
Pour nous raconter l’amour de sa « blonde »,
Puisque celle-ci changera de crins.

Pour quant aux cheveux bruns, blonds, châtains même,
Je les vois bientôt tombés dans l’oubli.
On n’en verra plus qu’à la mi-carême,
Et les gens crieront : à la chienlit !


RAOUL PONCHON

Le Journal
16 Fev. 1914
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