18 nov. 2008

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LE GROS-LOT
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J’ai donc pris le bon billet ;
Comme tout le monde,
Sur quoi, pour la fin Juillet,
Mon espoir se fonde.

A ce tirage, que si
Personne ne triche,
C’est donc demain, Dieu merci !
Que je serai riche.

Un million ! Qu’est-ce que ?…
J’avoue, à ma honte,
Que de ma vie, onc je ne
M’en suis rendu compte.


Je me présente ça
Comme un sac énorme,
Plus gros que Sancho Pança,
Plus long que Delorme ;

Et d’où l’on peut, jours et nuits,
Extraire sans cesse
De beaux trébuchants louis,
Sans jamais qu’il baisse.

*


Quoi qu’il en soit du magot,
- puisque j’en suis maître -
O Rouvier ! Notre Turgot,
Où vais-je le mettre ?

Irai-je chez un banquier
Le placer ? Tu causes !
Pour qu’il me lève le pied ?
On voit de ces choses.

Cacherai-je mes lingots
Dedans ma paillasse ?
Mieux vaudrait sur des noyaux
Que je m’appuyasse.


Irai-je comme un feignant
Les manger et boire ?
Je trouve ça répugnant
Et défécatoire

En ferai-je un double emploi,
Avec des personnes
D’un autre sexe que moi ?
Tu ne m’en soupçonne !

J’en sais qui les donneraient
A ces messieurs pauvres …
En voilà qu’ils attendraient
Venant du Hanovre !

*


Vraiment, ce nombreux argent
Me vaut la jaunisse.
Reprenez-le, bonnes gens,
Et que ça finisse.

Manier tant de biftons,
C’est besogne rude ;
Principalement quand on
N’a pas l’habitude.

Il faut les jeter au vent.
Qu’on nous en dispense.
Restons Job comme devant.
- Comme bien on pense -


Je n’ai touché rien encor
De cette fortune,
Et voilà que tout cet or
Déjà m’importune…


RAOUL PONCHON
Le Journal
31 juil. 1905

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